Gestion

Objet volant non identifié à l'horizon

 

Espaces naturels n°65 - janvier 2019

Le Dossier

L’apparition de drones dans les espaces naturels suscite autant d’enthousiasme que de réticences. Source de progrès mais aussi de risques, cette nouvelle technologie a fait une apparition remarquée dans la gestion des espaces protégés. Yann Kohler travaille sur le sujet depuis quelques années, il a notamment organisé, en mars 2018, avec son association Alparc, une rencontre sur le thème « Drones dans les aires protégées : menaces et opportunités ».

Drone © Sandrine Berthillot - Parc national de la Vanoise

En quelques années, les drones ont conquis l'espace aérien © Sandrine Berthillot - Parc national de la Vanoise

Un petit matin de printemps dans un Parc national de montagne. Dès les premières lueurs de l'aube, on observe un groupe de personnes rassemblées autour d’un petit engin à hélices qui, peu après, s’élève doucement dans le ciel et commence à effectuer de lents allers-retours suivant un parcours invisible. C’est un groupe de chercheurs et d’agents du parc, venus effectuer une série de prises de vues aériennes d’une coulée de pierres à l’aide d’un multicoptère télécommandé. Ces images permettront par la suite aux scientifiques d’établir une cartographie exacte du phénomène et de mettre en place des protocoles de suivi. Que ce soit pour de l’imagerie aérienne, de la télédétection, du suivi, du transport ou de la surveillance, les domaines d'utilisation de drones sont nombreux. Ces aéronefs téléguidés à distance trouvent leur origine dans le domaine militaire. Mais les avancées techniques et la miniaturisation des composants, les prix dégressifs et leur maniabilité rendent désormais ces engins accessibles à un large public. Depuis quelques années le nombre de drones privés et professionnels ne cesse d’augmenter. Il est ainsi passé de 100 000 unités vendues en 2014 à 377 000 en 2016.

UN NOUVEL OUTIL POUR LES GESTIONNAIRES

Les drones sont également venus renforcer la boîte à outils des gestionnaires d’espaces protégés. L’utilisation de cette nouvelle technologie présente de nombreux avantages, quelle qu’en soit sa source - scientifiques apportant leur matériel, prestataires professionnels missionnés pour des interventions ponctuelles ou parcs s’étant dotés de leur propre drone : faciliter l’accès à des lieux reculés ou dangereux d’accès, réduire l’impact des nuisances (sous réserve du respect d’un code de bonne conduite), réduire (considérablement) les coûts de certaines opérations, offrir des prises de vue spectaculaires ou, dans le cas de certains types d’échantillonnage, éviter des prélèvements létaux, etc. Des drones sont ainsi déjà utilisés avec succès pour le repérage de jeunes faons avant des interventions de fauche grâce à une caméra thermique, pour le suivi de végétation par photo aérienne, de la modélisation de terrain, la pose de balises sur des câbles de remontées mécaniques et électriques, etc.

Mais l’utilisation de cette nouvelle technologie comprend également des dangers, au sol lors d’un crash par exemple ou dans les airs lors d’une collision. La prise de vue aérienne soulève de plus des interrogations par rapport à la violation de la vie privée et au droit à l’ image(1).

DÉRANGEMENT

Un petit matin de printemps dans un Parc naturel régional. Toute la crête longeant la rive nord d’un lac d’altitude fait partie d’une réserve naturelle. On y rencontre des dizaines de promeneurs, attirés par le panorama splendide en cette belle journée ensoleillée. Malgré tout, il est possible d'observer plusieurs chamois et bouquetins qui pâturent en ordre dispersé au-dessus de la limite des arbres. Soudain, un mouvement se propage à l'ensemble des animaux, qui se précipitent dans la forêt en contrebas. En un clin d'oeil, près de 80 chamois et bouquetins ont déserté un pâturage de deux kilomètres carrés et se sont comme volatilisés. Que s'est-il passé ? Un drone a décollé depuis le sommet de l'arête, survolé longuement les crêtes et le versant sud escarpé, probablement pour filmer les hauteurs vertigineuses inaccessibles à l'être humain. Les gardes-moniteurs rapportent de plus en plus souvent des incidents de ce type : tantôt ce sont des visiteurs importunés dans une réserve naturelle, tantôt des oiseaux d'eau effarouchés au bord d'un lac, tantôt un Aigle royal dérangé dans sa zone d'évolution.

Pilotage de drone © Tobias KöstlPilotage de drone pour le suivi à Metschach (Autriche).© Tobias Köstl

La réaction animale face à un dérangement peut varier, allant d’un changement physiologique ou de comportement ponctuel jusqu’à une réduction du succès reproducteur (mortalité lors d’une collision avec un drone ou baisse de reproduction due au stress) ou à des modifications dans l’utilisation spatiale (évitement de certains espaces). Des chercheurs de Montpellier ont mis en évidence des facteurs déterminants provoquant des réactions liées à des caractéristiques de l’agent perturbateur (taille, bruit émis, vitesse, distance, angle d’approche) ou aux caractéristiques et contexte de l’animal concerné (espèce, âge, taille des regroupements, expériences individuelles, habitat, saison). En raison de l’apparition massive assez récente des drones, il n’existe cependant à ce jour pas beaucoup d’études permettant une évaluation scientifique satisfaisante.

Le dérangement de la faune par des drones est un sujet de préoccupation majeur tout comme les interrogations autour de questions juridiques.

L’arrivée de drones dans les espaces protégés est donc un sujet d’actualité pour les gestionnaires. Des expériences existent dans différents domaines (cf. articles de ce dossier). Le dérangement de la faune par des drones (usage de loisirs) est un sujet de préoccupation majeur tout comme les interrogations autour de questions juridiques. Des réflexions sur un « code de bonne conduite pour l’utilisation de drones dans les espaces protégés » pourraient permettre de mieux encadrer l’usage des drones dans ces espaces sensibles et aider les professionnels tout comme les particuliers à en faire un usage réfléchi et respectueux des enjeux et fragilités de ces territoires.

(1) Le droit à l'image est acquis par toute personne sur sa propre image. Ce droit permet avant tout à celui dont l'image est utilisée de refuser ou autoriser sa diffusion.