Trop ou pas assez ?
Trop ou pas assez ? Confrontés à la mise en place d’une signalisation, les gestionnaires ont un double souci : celui de respecter la réglementation et de préserver la sécurité du public mais également de garantir l’harmonie du paysage. Alors, que faut-il signaliser ? Et s’il survenait un accident, quels éléments le juge prendrait-il en compte pour décider ou non de la responsabilité du gestionnaire ? La jurisprudence nous conduit à distinguer la conduite à tenir sur les sites naturels aménagés, ouverts au public, et celle à tenir sur les sites restés à l’état sauvage.
Sites naturels aménagés
Selon les termes de la jurisprudence administrative, le gestionnaire devra signaler tous risques auxquels une « personne normalement attentive et observant la prudence qui s’impose » ne peut raisonnablement s’attendre. Ainsi, dans le cadre d’un procès en responsabilité contre le gestionnaire, faisant suite à un accident sur un site naturel aménagé, la victime pourra se voir opposer à la fois la force majeure mais également sa faute personnelle, telle l’imprudence, ou encore l’entretien normal de l’ouvrage public. À savoir que « l’entretien normal » peut être démontré par la présence d’aménagement assurant la sécurité du public. D’ailleurs, si ces aménagements sont en rapport avec les risques normalement induits par l’activité en cause, ils pourront présumer de la faute de la victime. (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 8 mars 1994, Mme Schwaller, n°92BX00764).
Sites naturels sauvages
Les obligations des gestionnaires y sont d’un autre ordre. Un arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 19 septembre 2000 à propos d’un accident survenu sur l’île d’Ouessant servira de base à nos développements. Cet arrêt retrace qu’au cours d’un séjour d’action éducative, un élève qui se déplaçait à vélo sur les chemins côtiers chute dans une faille de 20 mètres. Il décède immédiatement.
« Il est descendu de son vélo afin de contourner les pierres du chemin. Et, alors qu’il remontait sur son engin, son pied a glissé sur la pédale, provoquant une chute mortelle », témoignera l’un de ses camarades.
Poursuivit au pénal, le maire de la commune fut condamné en première instance pour homicide involontaire. Il lui fut notamment reproché l’absence de panneaux de signalisation informant des dangers du site. Il y avait bien, en effet, un unique panneau, mais celui-ci ne comportait aucune indication relative à la dangerosité des chemins côtiers ; pas plus qu’il n’indiquait une interdiction de circuler autrement qu’à pied.
En appel pourtant, le maire fut relaxé pour absence de faute caractérisée. Le juge estima que : « L’île d’Ouessant est un site remarquable sur lequel une signalisation ne peut être envisagée. Il estima de surcroît que l’île d’Ouessant est par elle-même dangereuse et qu’il appartient à chacun d’avoir une attitude responsable et appropriée afin d’éviter de se mettre dans une situation périlleuse. »
Ce cas est intéressant à plus d’un titre : premièrement parce qu’il souligne que les carences des gestionnaires (en l’espèce, le maire) peuvent entraîner des recours de tiers et être constitutives d’infractions tel l’homicide involontaire ; secundo parce qu’en considérant que « l’île d’Ouessant est un site remarquable où une signalisation ne peut être envisagée », les juges de la cour d’appel de Rennes ont considérablement assoupli les obligations à la charge des gestionnaires en matière de signalisation dans les sites sauvages.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que cette appréciation ne vaut que pour le site en cause, c’est-à-dire présentant un caractère remarquable et n’ayant aucun aménagement destiné à accueillir du public.
L’arrêt de la cour d’appel rejoint donc sur ce point, peut-être sans le vouloir expressément, les prescriptions du code de l’Urbanisme qui interdit les aménagements, même légers, pour les sites « remarquables et caractéristiques » correspondant à des espaces littoraux identifiés aux articles L146-6 et R146-1 et suivants du code de l’Urbanisme.
Plus généralement, la jurisprudence retient qu’il est de la responsabilité de chacun de se prémunir contre les dangers rencontrés habituellement dans les espaces de nature que l’on fréquente. Si tel n’est pas le cas, la victime commet une imprudence, donc une faute de nature à exonérer le gestionnaire du site.
Ce n’est que lorsque ce danger est inhabituel qu’il doit être signalé. Cela pourrait être le cas par exemple d’une coulée de pierre sur un sentier, résultant de pluies diluviennes.
Notre conseil
Pour conclure, nous conseillons aux gestionnaires d’espaces naturels non spécialement aménagés pour l’accueil du public de ne pas dénaturer les sites par une multiplicité de panneaux. Leur profusion pourrait alors laisser croire aux visiteurs qu’ils se trouvent dans une sorte de « jardin public » et pourrait les inciter à se comporter sans vigilance alors que ces espaces sont potentiellement dangereux.
Quelques panneaux intelligemment implantés en des points stratégiques d’entrée de site rappelleront le caractère naturel des lieux, et attireront l’attention des visiteurs sur les risques naturels encourus. Ils suffisent.