>>> procédure d’expropriation

La Cour européenne des droits de l’Homme sanctionne l’État français

 

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Droit - Police de la nature

Chantal Gil
Avocate spécialisée en droit public

 

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil prévoit l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme. Or, le 24 avril dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que l’État français avait violé cette disposition. Ce jugement faisait suite au recours d’un particulier non satisfait du prix d’un bien, fixé dans le cadre d'une procédure, par le juge de l’expropriation.
La Cour européenne de Strasbourg motive sa décision par l'inégalité d'accès au fichier immobilier. En effet, ce fichier qui permet d’enregistrer toutes les transactions sur
le département concerné est tenu par le service des Domaines et relève des services fiscaux. Or les conditions d’accès pour un particulier sont telles, qu’il ne peut y recourir.
Pour comprendre la portée de cette décision, il convient de rappeler, qu’en matière d’expropriation et dès lors que l’État, ses établissements publics, ou une collectivité locale sont concernés, l’avis des services fiscaux sur l’évaluation des biens à exproprier est obligatoire. En cas de désaccord entre expropriant et exproprié sur le prix du bien, il appartient au juge de l’expropriation (un par département, juridiction civile) de fixer sa valeur. Cette décision est prise après que les parties aient communiqué, par écrit, leur propre estimation.
Cependant, devant la juridiction d’expropriation, le directeur des services fiscaux joue également un autre rôle puisque, dans le cas où l’autorité expropriante est l’État, il intervient en qualité de « commissaire du gouvernement ». Un commissaire du gouvernement qui, au titre de l’article R 13-7 du code de l’expropriation, a pour fonction d’éclairer la juridiction en donnant des prix de référence pour des biens similaires à ceux expropriés (ceci afin de garantir une dépense « raisonnable » des deniers de
l’État). Pour étayer son argumentation, le directeur des services fiscaux dispose du « fichier immobilier » que nous avons évoqué plus haut.
Face à la Cour européenne, l’exproprié a fait valoir qu’il avait été fortement désavantagé à deux titres : d’une part, parce que le directeur des services fiscaux joue un double rôle d’évaluateur et de représentant de l’État ; d’autre part, parce qu’il n’avait pas eu accès au fichier immobilier, les services fiscaux lui ayant opposé la « confidentialité » du document.
Sur le premier point, la Cour européenne, rejoignant un arrêt du 21 octobre 1992 de la Cour de cassation française a estimé que la « double casquette » du directeur des services fiscaux, ne constituait pas « un net avantage » pour l’État. Elle a argué du fait que la décision finale sur l’évaluation du prix revenait au juge de l’expropriation. Par contre, la Cour européenne (suivant en cela les articles 14 et 15 du nouveau code de procédure civile) a estimé que toutes les pièces concernant les références des prix devaient être communiquées à l’exproprié : la procédure étant contradictoire et à armes égales.
La Cour a donc constaté « un désavantage net » pour l’exproprié qui, à l’inverse du directeur des services fiscaux (en tant que représentant de l’État et commissaire du gouvernement), ne bénéficiait pas d’un libre accès au fichier immobilier. Toutefois, la Cour n’a pas donné raison à l’intéressé sur sa requête en indemnité représentant la différence entre le montant qu’il sollicitait et le prix fixé par le juge. Elle a cependant condamné l’État français à rembourser au particulier ses frais d’avocat. Cet arrêt n’a pas, pour l’instant, donné lieu à une modification du code de l’expropriation.