>>> Atelier de création graphique

“ Les dimensions symbolique et fonctionnelle sont garantes de la pérennité de la création ”

 

Espaces naturels n°6 - avril 2004

Le Dossier

Pierre Bernard
Un des créateurs de la charte graphique des Parcs nationaux. Il est consultant au sein de l’Atelier de création graphique.

 

Vous avez longuement travaillé avec les Parcs nationaux pour définir leur identité visuelle : logotype, signalétique, charte graphique… Mais pourquoi vous ? Avez-vous proposé quelque chose de déterminant, propre à une démarche de ce type ?
En 1989, les Parcs voulaient modifier leur image, aussi ont-ils ouvert un concours. Nous aurions pu, comme d’autres agences, faire des propositions graphiques et répondre par des réalisations concrètes. Nous n’avons rien fait de cela. Pas de préconisation, pas de proposition… D’ailleurs, comment aurions-nous fait sans connaître très profondément les Parcs, leur histoire, leur identité, leurs attentes, leurs besoins ? Non. Nous avons choisi de faire une analyse critique de l’existant et d’expliquer ce qu’il nous semblait important de construire. Notre travail a consisté à définir « le fil rouge », celui qui devait guider toute la démarche de construction d’une image.
Je me souviens avoir présenté « La Dame à la licorne », et avoir expliqué que les Parcs foisonnaient de la même richesse : richesse écologique, géographique… richesses de la faune, de la flore, des minéraux. Nous ne savions pas ce que nous allions produire mais nous savions que nous devions atteindre ce but. Il fallait trouver une image qui ait autant de qualités que celle-là : ambitieuse et riche, à l’instar de la démarche des Parcs.
Mais nous n’avons rien inventé. Inconsciemment, tout était déjà dans le discours du client. Nous avons simplement révélé un élément fondamental de la stratégie des parcs. Ensuite, nous avons affiné la découverte, nous nous sommes mis à l’écoute de notre client afin de parfaire sa connaissance. Il faut, lorsqu’on travaille sur une identité, avoir du désir pour cette identité.
Dans quel contexte a été formulée la demande ?
À cette époque, les Parcs nationaux possédaient un matériel de communication, disons, « assez bricolé ». Chacun des sept Parcs avait son autonomie d’expression et nous étions face à des aventures individuelles qui chacune s’ancrait dans son territoire : la montagne, la mer. Il n’y avait aucune synergie concrète, même si certains concepts étaient partagés. Les Parcs ressentaient donc la nécessité de relier toutes ces expressions et de construire un outil unificateur. Il fallait cependant, que chaque Parc garde sa singularité, son originalité. Telle était la problématique exprimée dans le cahier des charges.
Cela nous conduit, immédiatement, à rejeter la construction d’une identité logotypique pour chaque Parc. Nous avons insisté sur la nécessité d’inventer un label national. Une image symbolique majeure attestant de la qualité « Parc national » sur le mode le plus universel possible : un emblème. Et ce fut la proposition de la spirale. Ensuite, c’est en articulant cet emblème avec le nom propre des territoires que nous avons construit des logotypes différenciés.
Comme fait-on pour s’inscrire dans le long terme ? Y a-t-il des clés pour que les choix graphiques effectués soient pérennes ?
Il y a, tout d’abord, la prise en compte de la finalité du projet. Ici, l’entreprise humaine se situe au-delà du profit, du commerce… Nous sommes dans une autre problématique, plus profonde, plus constitutive, plus philosophique… Nous sommes plus proches ce qui unit tous les individus : la naissance, la mort… Avec l’histoire pour référent et le futur devant nous.
S’il est important de resituer le contexte c’est qu’il va nous permettre de choisir les « bons » codes graphiques. C’est ainsi que la spirale s’est imposée comme forme générale de l’évolution. Elle-même, constituée par une accumulation improbable et mystérieuse du monde animal et végétal, en agrégat d’ombres chinoises.
La représentation symbolique est donc garante de la pérennité de la création…
C’est une dimension. Très importante. Mais il ne faut pas omettre l’approche fonctionnelle. Les éléments et outils de communication que vous produisez doivent installer la dimension symbolique dans une espèce de facilité, de confort. Les courriers doivent être bien écrits, clairs. Les panneaux de signalétique doivent être lisibles, harmonieux… Leur décryptage doit se faire sans effort, avec évidence. Tout doit être fonctionnel et correspondre à des réalités pratiques.
Concrètement…
Prenons l’exemple de la signalétique de terrain, c’est concret, réel… Depuis qu’ils existent, les Parcs ont besoin de marquer leur territoire pour aider les marcheurs à les découvrir. La question se pose alors de savoir comment ce marquage s’intègre-t-il à la symbolique d’une signalétique ? Contrairement aux entreprises privées qui ont tendance à marteler leur logo pour le montrer, pour être présentes, pour exister, le choix des Parcs a été radicalement différent. Certes, lorsque les Parcs s’expriment hors territoire, ils doivent affirmer leur personnalité symbolique car les gens doivent les identifier. Cependant, une fois dans les Parcs, il n’est plus utile de marteler le logo. Le besoin impose d’être le plus « neutre » possible et la signalétique est essentiellement une aide fonctionnelle à la découverte du territoire, il y a même disparition de la représentation symbolique. Pas d’emblème sur les poteaux de signalétique. Pas d’appartenance.
Dans la nature, on ne met que des systèmes de repérages nécessaires : des pictogrammes pour indiquer les règlements, des distances pour aider le randonneur ou des temps pour aider les marcheurs, également des noms pour se repérer. Ici, c’est la cohérence de présentation de ces renseignements qui attestera du sérieux de la démarche et renforcera son impact symbolique.
Pour écrire, il faut des lettres. La typographie a-t-elle la même fonction symbolique et fonctionnelle ?
Les lettres ont toutes été créées à une époque donnée. Les linéales par exemple, sont nées avec l’industrie. Ainsi, la forme des polices de caractère induit des connotations, des colorations culturelles différentes. On doit en tenir compte. Mais, c’est davantage la dimension fonctionnelle qui importe. Les caractères à empattement par exemple sont plus adaptés à la lecture. Plus confortables. Pour la signalétique des Parcs, les nécessités techniques ont été très structurantes. Nous avions trouvé, un matériau assez dur, résistant au froid, et il nous fallait une lettre qui corresponde, bien sûr, à l’esprit des Parcs mais, surtout, une lettre qui puisse se graver, avec la meilleure lisibilité possible. Nous avons choisi le Mol : une lettre tout en rondeur dont la gravure, dans un matériau dur, n’altère pas la forme des lettres. Il y a une harmonie entre la technique de gravure et la forme. Et puis, cette lettre moderne a une espèce de tranquillité de lettre écolière. Simple.
Par contre, pour « parler », nous avons choisi l’emploi du Sabon. C’est une typographie humaniste, qui rend la lecture confortable. Elle assure également un certain classicisme qui lui confère une valeur d’autorité.
Les matériaux et couleurs peuvent être fortement marqués par l’effet de mode… Comment durer ?
Toute création comporte une dimension subjective, il est difficile d’en faire totalement abstraction. Ainsi, le fond des panneaux devait être d’un jaune franc. Cela a été difficile à faire admettre. Certains classaient les couleurs en deux : d’un côté les couleurs douces et naturelles, de l’autre les couleurs violentes et industrielles parmi lesquelles ils rangeaient ce jaune. Nous avons dû faire la démonstration que dans la nature, le jaune était une couleur d’appel et que du même coup, cette couleur, très visible, pouvait figurer en toutes petites touches : pas besoin de grands panneaux pour être visible. C’est d’ailleurs cet argument qui a emporté l’adhésion.
Mais quelquefois la dimension subjective est plus importante. Nous souhaitions que la signalétique soit positionnée sur des poteaux en bois, les plus rustique possible, les plus invisibles possible. Certains ont perçu ce mélange des matériaux comme de « mauvais goût ». L’option n’a pas été retenue.
Comment votre travail a-t-il été relayé au niveau du terrain. Comment les personnels, notamment, se sont-ils appropriés les graphismes proposés ?
Les Parcs nationaux sont des institutions relativement ordonnées. Il y a un certain respect de la règle, les personnes se sont donc relativement vite approprié le résultat. D’autant que les normes répondent à une réalité fonctionnelle. Aujourd’hui, il est plus aisé d’appliquer la charte que d’y déroger en trouvant d’autres solutions. Il faut dire que nous avons travaillé, au côte à côte, avec un garde moniteur qui était très au courant des contraintes imposées par le terrain. La règle n’a donc pas été parachutée ; elle tient compte des besoins fonctionnels.
Une charte graphique est faite pour évoluer. Peut-on faire des déclinaisons d’édition par exemple, sans défaire l’unité que vous avez construite ?
Les documents d’édition ne peuvent pas en rester au niveau de l’exploitation symbolique de la spirale. La spirale est faite pour durer, mais elle doit être alimentée par des productions qui expriment la vitalité des Parcs avec qualité. C’est cela qui fait vivre une norme. On reconnaît une norme quand elle est productrice de nouveautés variées, intéressantes et belles. Aujourd’hui les éditions restent un peu dans le flou. Il y a, bien sûr, des éléments structurants tels la typographie, le logotype, les couleurs. Mais ce n’est pas suffisant pour atteindre l’excellence d’un document.
J’ai le sentiment que le chantier n’est pas achevé, le travail éditorial est encore ouvert. Le grand exemple pour moi, ce sont les Parcs américains. Ils ont un service d’éditions centralisé extraordinaire ; des publications magnifiques. Mais ils se donnent, aussi, beaucoup de moyens.

Recueilli par Moune Poli