La signalisation raisonnée
Espaces naturels n°6 - avril 2004
Emmanuel Michau
Directeur de Asters (Agir pour la sauvegarde des territoires et des espèces remarquables ou sensibles)
Les panneaux sont comme les mots, ils permettent de parler. Mais qu’avez-vous à dire ? Sans plan signalétique, il n’y a pas de message.
La signalisation est souvent traitée de manière ponctuelle, répondant à des besoins immédiats et laissée à l’initiative individuelle des agents de terrain. Cette démarche, certes efficace pour répondre aux nécessités locales, n’en a pas moins de lourds inconvénients : diversité du mobilier, des signes, des messages, accumulation de panneaux de toutes dimensions et de tous matériaux sur les sites, redondance quand ce n’est pas incohérence de messages.
La multiplicité des opérateurs dont chacun veut exister par sa marque ou sa forme aboutit par ailleurs à des désordres paysagers contradictoires avec l’objectif même des espaces protégés.
Donnez le ton
La signalisation est un acte fort qui nécessite une réflexion coordonnée à l’échelle d’un territoire et une concertation des divers acteurs. C’est l’objet du plan signalétique : il s’agit d’offrir une vision globale organisée, hiérarchisée, communicante.
Quelles sont donc les fonctions de la signalisation sur un territoire ?
La signalisation peut avoir de multiples objectifs qu’il convient de bien identifier pour réaliser le plan de signalisation car à chaque fonction pourra correspondre une catégorie de panneaux, un choix d’implantation, une stratégie de message.
• Des fonctions de marquage d’un territoire
et des fonctions réglementaires
La signalisation permet de marquer les limites d’un territoire protégé, d’en rappeler et asseoir l’identité (Parc, Réserve naturelle, terrain du Conservatoire du littoral). Le visiteur sait alors qu’il entre dans un territoire particulier. Ce repérage, même s’il ne se traduit pas par une réalité physique ou qualitative, est symboliquement important pour le visiteur.
C’est aussi l’occasion de rappeler les règles de bonne conduite dans cet espace. La fonction d’information réglementaire est importante puisqu’elle fonde aussi la légitimité du rappel à l’ordre voire de la sanction des infractions par les services de surveillance de l’espace protégé. Cette fonction peut jouer dans les deux sens : le visiteur perçoit en entrant qu’il doit s’attacher à préserver l’espace, mais peut aussi en sortant recevoir un message « d’envoi » : par exemple, « Vous quittez un espace protégé, partout ailleurs la nature mérite aussi votre attention ».
Au-delà des limites du territoire, le marquage identitaire de la signalétique (emblèmes, mobilier…) identifie également le territoire.
• La fonction directionnelle
C’est la fonction historique de la signalisation, celle du « panneau indicateur ». Il s’agit d’indiquer les itinéraires, d’identifier les lieux et leur altitude, de renseigner sur la nature de l’itinéraire (GR, PR…), de donner des indications sur les temps de parcours, sur la présence de services (refuges, belvédère, toilettes…). Elle a alors essentiellement un rôle d’orientation, de service.
• La fonction d’information et de services
Il s’agit ici de présenter l’espace, protégé ou non, ses grandes caractéristiques, de donner des informations sur les différents itinéraires et leur difficulté, sur les précautions à prendre pour la visite, sur le code de bonne conduite. On peut aussi renseigner sur l’appartenance de l’espace à un réseau (sites du Conservatoire du littoral, Réserves naturelles de France…)…
• La fonction identitaire
La signalétique constitue l’un des premiers contacts avec l’espace protégé. Elle va donc avoir un rôle fort d’image de l’espace.
Elle est d’abord le support de son emblème, de son nom. Son mobilier, son graphisme, sa mise en scène sont aussi l’expression d’un réseau (Parcs nationaux, Réserves naturelles…) ou d’un territoire (Sivom ou Parc naturel régional). Mais attention à la dérive identitaire et institutionnelle : cette fonction devient parfois prépondérante par rapport au contenu.
Plus subtilement, la tonalité des messages aura aussi un rôle sur l’image offerte au public (affirmatifs, incitatifs, participatifs…) De même, le mobilier, le graphisme peuvent refléter des dimensions aussi diverses que le naturel, l’urbain, le sérieux, la fantaisie, le précieux, le rustique… « Montre-moi tes panneaux, je te dirai qui tu es »…
• La fonction de gestion des flux
C’est une des dimensions induites extrêmement importantes : par le choix de signaliser ou de ne pas signaliser, par le positionnement de la signalisation, les lieux d’implantation, les messages, le gestionnaire va orienter les flux de visiteurs et leur mode de réaction dans l’espace.
Le plan signalétique est essentiel dans l’organisation des flux de fréquentation. Sa relation doit être étroite avec le plan de gestion.
Soyez stratège… planifiez
Le plan de gestion de l’espace protégé, outre ses objectifs de gestion naturaliste, a aussi pour objet d’organiser la fréquentation du public sur l’espace en fonction de la sensibilité du territoire.
Il va donc déterminer les lieux principaux d’accès, les infrastructures qui leur sont associées, le maillage de sentiers et leur hiérarchie, les points remarquables qui seront signalisés (refuges, sommets, cols, belvédères…), voire les itinéraires ou les lieux qui feront l’objet d’une véritable interprétation.
La gestion des flux devient une orientation stratégique du plan de gestion. Elle va se traduire par la dimension des infrastructures : taille des parkings, largeur des sentiers, mais aussi par le profil en long et le mode de traitement des sentiers (confortable, rustique, rugueux…). La signalisation aura un rôle stratégique : la présence ou non de panneaux directionnels, le jalonnement ou non des sentiers (balises, cairns), la taille de panneaux, la détermination d’un sens préférentiel de circulation… jouent sur les flux, la capacité d’accueil, la limitation de la pénétration diffuse du territoire.
À la pointe du Raz, en observant préalablement le comportement des visiteurs par rapport aux points remarquables (points de vue, monuments…) puis en agissant sur les sentiers, leur taille, leur signalisation, on a pu gérer un flux de 800 000 visiteurs par an tout en restaurant spectaculairement la végétation du site. La partie nord du site est restée volontairement moins signalée et aménagée, entraînant une moindre fréquentation, pour préserver des espaces de calme et pour protéger des populations d’oiseaux.
Le plan de gestion va également être déterminant pour choisir où devront être placés les éléments d’information du public (information réglementaire ou de service, interprétation). Ces messages joueront sur le comportement des visiteurs.
Le plan signalétique devrait donc être bâti postérieurement au plan de gestion et au plan d’interprétation qui, lui, va déterminer la stratégie de communication avec le public.