Trois ans pour réduire les invasions végétales

 
Le Parc national des oiseaux du Djoudj retrouve sa place au Patrimoine mondial

Espaces naturels n°17 - janvier 2007

Vu ailleurs

Patrick Triplet
Syndicat mixte d’aménagement de la côte picarde
Ibrahima Diop
Station biologique du PN oiseaux du Djoudj
 

Après six années passées dans la catégorie « en péril », le Parc national des oiseaux du Djoudj a retrouvé, en juillet 2006, sa place sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Le Comité permanent de la convention du patrimoine mondial a, en effet, pris en compte les résultats de la lutte biologique contre la fougère aquatique invasive Salvinia molesta et les travaux de reconquête des milieux menés contre les autres espèces végétales qui étouffent les plans d’eau et les marigots du Parc.

Le Parc national des oiseaux du Djoudj a été créé en 1971. Ces trente-cinq années d’existence se décomposent en deux grandes périodes : avant et après la mise en service du barrage de Diama (début des années 1990). Son but est d’empêcher la remontée de la langue salée venant de la mer, de constituer une réserve d’eau douce et de permettre, notamment, la culture de riz de contre-saison. Mais le barrage de Diama a considérablement modifié les écosystèmes du delta.
Le barrage, source première de tous les maux
La cote de la retenue du barrage étant toujours plus haute que celle des eaux du Parc, aucune évacuation d’eau n’est plus possible et la pression hydrostatique exercée par les eaux de la retenue fait remonter le sel dans les terres. On aboutit donc à ce paradoxe : des eaux de plus en plus douces, favorisant le développement de la végétation et des terres de plus en plus salées tuant toute forme de végétation à proximité de la digue. Ainsi, les problèmes se sont succédés : arrivée du chou du Nil dès 1989, développement du typha (espèce de roseau) dès 1992, invasion, heureusement vite contenue, de la fougère Salvinia molesta en 1999, développement depuis 2005 de deux espèces locales qui soudainement prolifèrent et obstruent les marigots : Centrostachys aquatica et Neptunia oleracea (voir photo page de droite).
Quand, en 2000, le Comité permanent de la convention du Patrimoine mondial de l’Unesco a pris la décision d’inscrire le Parc dans la catégorie « en péril », les gestionnaires ont impulsé un plan d’interventions financé par le Centre du patrimoine mondial de l’Unesco1. Il faut souligner que le contexte était favorable. En effet, depuis 1995, deux plans de gestion avaient déjà été mis en œuvre.
Mieux contrôler
la végétation
Concrètement, la conservation de la biodiversité et la lutte contre les espèces invasives ont reposé sur deux modes de lutte engagés au long des années 2004 et 2005. Les deux espèces invasives, la fougère aquatique et le chou du Nil, ont toutes les deux été contrées par la lutte biologique. L’emploi d’espèces de charançons spécialisés sur l’un ou l’autre végétal a permis des résultats surprenants, sans porter préjudice aux autres espèces végétales. En revanche, il s’avère plus difficile de lutter contre les espèces locales, beaucoup plus intégrées à l’écosystème et qui, soudainement, se mettent à proliférer parce que l’équilibre entre les espèces et le milieu est rompu. En l’occurrence ici, il a suffi de deux années d’un niveau d’eau trop haut pour favoriser Centrostachys aquatica et Neptunia oleracea.
Les premières tentatives de gestion ont concerné le typha. Le plan d’actions vise à se doter de moyens pour limiter l’expansion de cette espèce. Une des principales actions a alors consisté à passer fréquemment un bateau faucardeur : les roseaux sont fauchés depuis une barque (voir photo) permettant ainsi à l’eau de circuler librement dans les marigots. Dans cette lutte contre les espèces locales, la création d’un corps d’écogardes en 2000 a été fondamentale. Issus des villages environnants, ils mettent en place des barrages flottants afin que les Salvinia n’entrent pas dans les marigots les plus précieux du Parc national. Ils ont, par ailleurs, participé à toutes les opérations de gestion dans le Parc. En période sèche, ils contribuent à encadrer les villageois qui coupent les tamaris envahissant les plans d’eau. Les populations y trouvent leur intérêt car, en contrepartie de cet apport de main-d’œuvre, elles peuvent conserver le bois de chauffage qu’elles ont extrait.
Continuer l’action
Pour freiner la végétation, un autre type d’action est également programmé. Il consiste à augmenter la salinité de l’eau des marigots. Pour cela, les sols sursalés seront inondés puis l’eau chargée de sel sera acheminée vers les marigots. En faisant attention cependant à ne pas faire entrer plus d’eau que nécessaire afin de faciliter l’assèchement et d’augmenter la concentration en sel.
On notera cependant que les différentes actions menées depuis 1995 ont conduit à se consacrer essentiellement sur la périphérie du Parc au détriment de la gestion de la zone centrale. Il manquait donc un plan de gestion actualisé.
Celui-ci a été rédigé en avril 2006 à l’issue d’un séminaire regroupant des scientifiques, des représentants de différentes ONG, les anciens conservateurs des Parcs mais également trois anciens directeurs des Parcs nationaux du Sénégal. Il contient l’expérience de différents conservateurs qui se sont accordés sur la rédaction d’un tableau de bord à l’usage de leurs successeurs. Enfin, par rapport aux documents de programmation précédents, il accorde une place prépondérante à la faune, à la flore et aux habitats.
Chacune des actions préconisées a été discutée par l’ensemble des participants et ne figure dans le document que parce qu’elle a reçu un avis positif unanime. Une des préoccupations majeures a été de faire en sorte que ce plan soit compréhensible par tous, c’est pourquoi le document est court, pratique, lisible autant par les scientifiques, les agents des Parcs et les partenaires financiers.
Le plan d’actions se décline en trois objectifs qui prennent en compte la dimension écologique mais également économique et humaine du site. Ils consistent : à préserver ou restaurer les caractéristiques écologiques du Parc ; à développer l’accueil des visiteurs et créer de nouveaux produits écotouristiques ; à mieux intégrer le Parc dans son environnement humain, environnemental et socio-économique.
Il reste qu’aujourd’hui, les écosystèmes de cette zone ont subi de profondes mutations. Rien n’est donc gagné… Mais la lutte est désormais bien engagée.

1. Le plan d’actions, prévu sur une durée de trois ans, a été financé par le Centre du patrimoine mondial de l’Unesco. Ce projet a été réalisé en commun avec la direction des Parcs nationaux du Sénégal et l’UICN. Il a été conduit sous la responsabilité du ministère de l’Environnement et de la protection de la nature du Sénégal, avec le concours de Wetlands international, de la Convention de Ramsar, de l’association Oiseaux migrateurs du paléarctique occidental, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, du Conseil régional de Saint-Louis, de la Société d’aménagement et d’exploitation du Delta, de l’université de Saint-Louis, de la direction des Eaux et forêts du Sénégal, du Parc national du Diawling (Mauritanie).