Transfert de sol : nécessité et incertitude

 

Espaces naturels n°47 - juillet 2014

Études - Recherches

Isabelle Muller, Jean-Baptiste Mouronval, Elise Buisson, François Mesléard 

L’absence d’une banque de graines viables et les faibles capacités de dissémination de nombreuses espèces représentent un frein majeur aux efforts de restauration d’habitats naturels. Pour pallier ces obstacles, parmi d’autres techniques, le transfert de sol est de plus en plus employé en tant que méthode pour la restauration écologique d’un habitat ou d’une espèce impactée par un projet d’aménagement. Mais, comme toute forme de restauration écologique, le transfert de sol n’est pas toujours prévisible, surtout à grande échelle, et nécessite la perturbation du milieu d’accueil.

Une méthode particulière du transfert de sol a été testée, dans le cadre d’un projet de création de marais temporaires méditerranéens sur l’ancien domaine rizicole du Cassaïre (Bouches-du-Rhône), propriété du Conservatoire du littoral. Il a d’abord fallu s’assurer que les échantillons de sols prélevés contiennent bien les espèces souhaitées, puis veiller à ce que la diversité des espèces transférées, chacune ayant ses propres exigences, assure un bon développement de la végétation en relation avec les conditions du milieu. Il s’agissait aussi d’élaborer des scénarii flexibles de gestion hydraulique et de procéder par étape. La première étape de la méthode a consisté à repérer au printemps, lorsque la végétation est a son maximum de développement, plusieurs sites donneurs contenant les espèces cibles (photo 1). Ensuite, ont été prélevées sur ces sites (pendant la saison de repos végétatif) des fractions de sol contenant les espèces visées et notamment les espèces annuelles liées à l’assèchement estival. Les fractions de sols échantillonnés ont été mélangées avant leur introduction afin de disposer, pour chaque fraction de sol à déplacer, d’une gamme d’espèces correspondant à des conditions écologiques sensiblement différentes. Enfin, avant de procéder à la transplantation, il faut enlever (« étreper ») une couche de sol sur le site d’accueil.
 

PREMIÈRE EXPÉRIMENTATION : UN SUCCÈS

Après avoir été conservées au sec, les fractions de sol ont été épandues durant l’hiver dans des mares de petite taille (que les scientifiques appellent des « mésocosmes ») créés à cet effet sur le site du Cassaïre (photo 2). Cette technique s’est révélée particulièrement efficace lors de la première année de suivi ; quelques mois après le transfert de sol, les mares qui ont reçues un transfert de sol étaient colonisés par la totalité des plantes aquatiques issues des marais temporaires d’origine. Les communautés végétales de ces mares présentaient en effet une forte similarité avec celles des divers écosystèmes de référence ainsi qu’une richesse spécifi que signifi cativement plus élevée que la végétation des mares n’ayant pas reçu un transfert de sol (qui servent de mares de référence). En moyenne, dix espèces caractéristiques de la végétation des marais temporaires ont ainsi été recensées dans les mares recevant un transfert de sol tandis qu’aucune de ces espèces n’a été observée dans les mares de référence.

LA RESTAURATION À LARGE ÉCHELLE EST PLUS COMPLEXE

Cette méthode du transfert de sol a ensuite été appliquée en grandeur nature sur 3 hectares de marais en Camargue. Les premiers mois de suivis ne montrent pas de résultats aussi convaincants que ceux obtenus dans les mares expérimentales de petites tailles, que ce soit en termes de composition ou d’abondance de la communauté végétale aquatique. La totalité des espèces transférées n’est pas recensée dans les marais recevant un transfert de sol, et une diminution signifi cative de la richesse spécifi que (4.1 espèces au lieu de 9.8) et de l’abondance relative des espèces cibles (55 % d’espèces cibles contre 75 % en mésocosme) ont été observés. Ces premiers résultats suggèrent que la restauration à large échelle pourrait être plus complexe.

En effet, la présence d’algues fi lamenteuses (Cladophora vagabunda, photo 3) sur toute la superfi cie du marais restauré semble avoir nuit à l’installation des espèces dont les graines et rhizomes étaient présentes dans le sol transféré. Ces algues, déjà recensées dans les petites mares expérimentales, mais pour lesquelles aucun impact n’avait été décelé, pourraient compromettre ou ralentir l’établissement des espèces transférées en grandeur nature. Naturellement présentes dans les mares de référence, ces algues fi lamenteuses n’ont eu que peu d’impact, leur abondance diminuant avec le développement des espèces végétales aquatiques. Dans le marais restauré à grande échelle, leur très forte densité pourrait être liée à un relargage de nutriments, et par conséquence une forte eutrophisation, favorisé par le remaniement des sédiments suite aux travaux de prélèvement et de transfert de sol et en lien avec le passé agricole du site. Ce relargage pourrait néanmoins s’estomper rapidement ; on peut alors supposer que son impact ne sera que temporaire. Des conditions défavorables à la germination des graines transférées dans le sol ou au développement des plantules, telles que la turbidité de l’eau, augmentant avec la taille du marais, pourraient aussi expliquer la diminution de la richesse spécifi que dans l’expérimentation de restauration à large échelle.

En conclusion on voit ici que les expérimentations à petite échelle et en conditions plus simplifi és peuvent être utiles pour évaluer le potentiel des différentes techniques de restauration, notamment parce qu’elles permettent de sélectionner et de tester les facteurs présumés entrer en jeu dans l’installation d’une communauté végétale. Aussi prometteuses qu’elles puissent être, ces expérimentations ne peuvent cependant se substituer aux expériences à l’échelle de l’écosystème. D’autre part, la réussite d’un projet de restauration ne peut être évaluée sur les seules premières années : des bilans à moyen et long termes sont indispensables pour pouvoir tirer des conclusions valides.