La nature à vue d’oreille
Espaces naturels n°47 - juillet 2014
Emmanuel Gastaud
Parc national du Mercantour
Marilyne Barisic
coordonnatrice d’édition numérique
Les déficients visuels en visite dans le Parc national du Mercantour sont invités à utiliser leurs oreilles pour « voir » la montagne. Un support audio adapté et ce sont eux qui deviennent guides.
Les non et mal-voyants disposent souvent d’outils favorisant leur autonomie dans leurs déplacements (chien-guide, smartphone, canne blanche, GPS ...). Mais rares sont les outils qui permettent un accès à du contenu de médiation comme des audioguides pour des balades extérieures... Or se balader en nature, c’est revenir avec des images en tête, même pour les 1,7 millions de déficients visuels dont près de 207 000 sont malvoyants profonds et aveugles. Pour eux, une balade en nature n’a pas la même saveur : l’accompagnement est nécessaire, peu de sites sont viabilisés, les supports de médiation adaptés in situ sont rares. Généralement, l’accent est mis sur l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Pour les déficients visuels, des panneaux braille et reliefs peuvent être présents sur site avec des éléments en rondbosse à toucher. Mais ce n’est qu’une information de base pour les visiteurs, et seulement 10 % d’entre eux savent lire le braille en France. Les visiteurs ont besoin d’une information adaptée pour les aider à mieux comprendre et se repérer dans leur environnement. Et c’est le son, sous toutes ses formes, qui est à privilégier. Ecouter permet de transmettre une information plus riche, plus concrète, de faire appel à l’imagination, voire au souvenir.
COMMENT METTRE EN PLACE DES OUTILS DE MÉDIATION AUDIO EN MILIEU NATUREL ?
Le Parc national du Mercantour(1) a mis en place « Handi-écoguide » : un smartphone couplé à un casque équipé d’une « boussole 3D » et d’une puce GPS. Cette technologie inédite est testée depuis 2011 sur le site du vallon du Lauzanier à Larche (04). Elle permet au visiteur d’obtenir une explication sonore suivant sa position géographique et l’orientation de sa tête. Une application mobile sera disponible cet été pour la visite du site du col de L’Espaule à Beuil-Valberg. Avec cet outil, co-construit avec des non et des mal-voyants(2), il est possible de conserver une découverte plus autonome et de proposer une expérience riche. Le son permet de conter, de proposer des interviews, de scénariser. Un audio vient ponctuellement augmenter cette expérience : le visiteur entend un commentaire sur un des éléments qui l’entourent comme la rivière, les oiseaux, la forêt... Les interactions sont multiples avec plusieurs degrés d’information. Les déficients visuel utilisent leurs sens : entendre les clapotis formés par les cailloux de la rivière, tourner la tête pour situer l’amont... Cet apport sonore combiné au son naturel permet de se créer une image mentale. La rivière prend forme, s’étend dans l’environnement, elle se matérialise et se détaille. Ces outils ont suscité un retour positif des utilisateurs non et mal-voyants et un échange entre les déficients visuels et leurs accompagnants. Les rôles s’inversent : c’est le déficient visuel qui décrit l’environnement à son accompagnant !
(1) financements de la GMF dans le cadre d’un mécénat avec Parcs nationaux de France : « la nature en partage »
(2) associations À perte de vue et Valentin Haüy, antenne de Nice