Herbivores

Domestiques ou sauvages ?

 

Espaces naturels n°8 - octobre 2004

Le Dossier

François Mesléard
Tour du Valat
Laurent Desnouhes
Tour du Valat
Olivier Pineau
Tour du Valat

De nombreuses expériences témoignent de la faculté du pâturage extensif à maintenir la richesse spécifique du milieu, à limiter l’installation de semis de ligneux, à stopper leur développement et à faire régresser des peuplements déjà en place. Mais, si la possibilité de contrôler les espèces peu ou non appétées par le pâturage extensif est toujours un sujet d’actualité, l’utilisation de cet outil pour limiter la colonisation des ligneux ne se révèle pas toujours appropriée.

Les pelouses sèches de Camargue hébergent une flore typique relativement abondante en légumineuses annuelles. Situées sur les terres hautes et non inondables, elles échappent en partie à l’emprise du sel. En contrepartie, elles sont potentiellement soumises à la colonisation par les ligneux.
Depuis plusieurs décennies, les pelouses du domaine de la Tour du Valat sont sujettes à un envahissement progressif par la filaire qui, à terme, est susceptible d’hypothéquer leur intérêt patrimonial. Or, une expérience visant à tester l’impact du pâturage domestique en place et à contrôler le développement de buissons de filaire montre que celui-ci n’est opérant sur les repousses qu’après gyrobroyage (fig. 1).
Ce peu de contrôle de la filaire s’explique en partie par l’absence des herbivores domestiques en fin de printemps et en été, période où ils sont utilisés pour limiter la végétation émergente des marais ; ainsi que par une charge instantanée très faible (0.12 UGB/ha) pendant les six mois de présence sur les pelouses. Mais les modalités d’application du pâturage domestique ne sont pas toujours seules en cause. Et, généralement moins perceptible, le rôle des herbivores sauvages peut néanmoins être déterminant dans le maintien des communautés végétales en place.
Moins de lapins, plus de filaire
Afin de mesurer les effets respectifs des herbivores domestiques et sauvages (ici, le lapin) sur la végétation des pelouses, trois traitements sont testés depuis 1976 : l’absence de pâturage, un pâturage par les lapins uniquement, le libre accès au pâturage.
En l’absence de pâturage par le bétail et les lapins, la richesse spécifique a significativement diminué. Lorsque le libre accès a été laissé aux herbivores, la richesse spécifique est demeurée stable entre 1976 et 1984. Le résultat est identique lorsque seuls les lapins ont pu pâturer. A contrario, la colonisation par la filaire a presque exclusivement concerné les placettes où les lapins étaient exclus (fig 2). À la lumière de ce résultat, on peut se demander si les furetages effectués lors des décennies précédentes, afin de limiter la population de lapins sur le domaine, n’auraient pas contribué à la colonisation des pelouses par la filaire.
Ces deux expérimentations illustrent comment certains facteurs, non maîtrisés ou sous-évalués, peuvent avoir de fortes incidences sur la valeur conservatoire des milieux. Il en fut ainsi de la période de pâturage et de l’intensité de la charge pastorale d’une part, de l’impact des herbivores sauvages d’autre part.
Les herbivores sauvages sont souvent regardés comme des compétiteurs du bétail, ils sont même, parfois, jugés néfastes au maintien des communautés végétales en place. Or comme pour le lapin dans le cas présent, toute action visant à limiter l’impact d’un herbivore sur les communautés végétales, qu’il soit sauvage ou domestique, ne devrait pas être entreprise sans une évaluation préalable des conséquences.