Mon ton son
Espaces naturels n°47 - juillet 2014
Denis Cheissoux
Producteur de CO2 mon amour – a créé le premier magazine de nature et d’environnement sur France Inter (samedi 14h, 800 000 auditeurs)
D'abord les oiseaux ! Oui, le premier son de la nature, c’est l’oiseau. Interrogez un oiseau, il vous dira : « Non, ce sont les voitures des humains » ou les avions si l’oiseau habite à Roissy ou Blagnac. De même que les couleurs du plumage ne sont pas faites pour « faire joli », les gazouillements variés ne sont pas là pour réjouir les oreilles de l’humain mais pour causer entre congénères, marquer son territoire, choisir sa femelle, virer le dragueur inélégant.
Le Printemps silencieux de Rachel Carlson fût le marqueur prémonitoire de la destruction des oiseaux par la chimie agricole et donc de leurs chants. Circulez, y a rien aviaire. Mon boulot est d’écrire le monde en sons. Enfonçons une porte ouverte (donc sans bruit) : la radio est riche de ce qu’elle n’a pas. Même si demain pour être écouté, on consultera des images, smartphone oblige. Je dois fabriquer des images et votre cerveau fera le reste. Je ramasse tout : bruits, paroles, silences, sons de nature, de villes, musiques, vent d’Autan, murmures de ruisseaux.
Je travaille souvent en pensant à un copain aveugle. Il n’est pas non voyant comme on dit en langue politiquement insupportable, il est aveugle : il ne voit rien ; mais il entend tout et mieux que tout le monde, il comprend le monde et les mensonges de nos gouvernants plus vite que nous et son nuancier auditif est plus fourni que le nôtre.
Au fi nal, mes paysages sonores sont ceux que les auditeurs se font. Je suis expert en pas : feuilles, branchages, cailloux, pierriers, fl aques, bords de mer, neige, gadoue… J’ai aussi un bel éventail de vents, ennemi du preneur de sons mais pousseur de nuages et d’images. Débardage à cheval dans les Vosges, découverte du grand tétras dans les Hautes-Pyrénées, tutoiement les marmottes dans les Hautes-Alpes ou appel des loups... Le son, le silence que je cueille repoussera. Il n’est pas en voie de disparition sauf si une espèce le devient. L’haleine d’étable, l’herbe fraîchement coupée d’un jour, la menthe des rivières, les grumes dans une forêt du Morvan sont aussi évocateurs que le clocher, le chien au loin, les cigales, le clapot dans un port Grec, les grillons parlant aux étoiles, les vaches qui expriment leur mécontentement contre la PAC, les martinets, le bourdon ou le rossignol du soir. Je suis un homme de terrain, du granite, pour moi Paris est la banlieue de la province. Je mets en boîte puis malaxe les sons au montage, au mixage avec mes amis réalisateurs Christophe Imbert ou Fabrice Laigle, formidables coloristes. Les sons sont une écriture à eux seuls et ne sont pas des surligneurs de la parole humaine. Je sais « faire » du son avec mes trucs d’alchimiste et mon petit magnéto (250 euros en vente libre). Il est le prolongement ou le début de ma pensée. J’aime écouter la nature les yeux fermés comme je le faisais petit dans le Tarn avec mon grand-père. Je ne cherche pas la radioactivité mais juste la radio active, vagabonde et ouvrir la fenêtre pour vous offrir… de l’air.