Évaluation

Sociologue pour les espaces protégés

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Management - Métiers

Anatole Maréchal, anatole.marechal@lpo.fr

En quoi un sociologue peut-il être utile à une association de protection de la nature et de l’environnement, au quotidien ? Anatole Maréchal, dont c'est le métier, a conduit des diagnostics qui ont permis à plusieurs équipes d'améliorer leur relation au territoire.

L'ancrage est le résultat du lien avec les acteurs. © David Pacaud

L'ancrage est le résultat du lien avec les acteurs. © David Pacaud

Face aux enjeux du changement climatique et de l’accentuation des pressions anthropiques sur les ressources naturelles, la sociologie peut aider les associations de protection des espaces naturels à mieux maîtriser les usages humains et leurs impacts sur la biodiversité. Certaines ont déjà mis en place des travaux de sociologie pour les accompagner dans le lien entre espaces naturels et populations locales.

La LPO a ainsi créé en 2017 un poste de sociologue en appui à son service des espaces protégés. L’objectif était de réaliser, sur les réserves naturelles (RN) qu’elle gère, un état des lieux des perceptions par les acteurs locaux. Cela permet d’étudier à la fois l’appropriation que s’en font les acteurs locaux et les efforts réalisés par la réserve pour s’intégrer au territoire. Il s'agit donc d'étudier l'ancrage territorial de la réserve. Pour ce faire, une méthodologie initiée par Réserves naturelles de France a été reprise et améliorée : le diagnostic d’ancrage territorial. Ce diagnostic s’attache à mesurer trois volets d’informations utiles au gestionnaire pour améliorer son niveau d’ancrage : le niveau de connaissance globale que les acteurs ont de la réserve (patrimoine, gestionnaire, règlement…), l’intérêt qu’ils lui portent, et leur niveau d’implication en soutien ou en résistance à la réserve. Le résultat de ces indicateurs débouche sur des propositions d’objectifs et d’actions qui sont intégrées aux plans de gestion des réserves et visent à renforcer le nombre et le soutien des acteurs fédérés et à réduire le nombre d’acteurs contraints. À terme, il s’agit d’améliorer l’influence de la réserve en matière de conservation, au sein de son territoire d’appartenance : une réserve mieux perçue, mieux acceptée, aux actions et résultats mieux compris, également ses liens écologiques fonctionnels avec le territoire qui l’entoure.

DES PLUS-VALUES POUR LA LPO ET LES RÉSERVES NATURELLES

Après deux ans d’exercice sur plusieurs réserves naturelles, les apports des diagnostics d’ancrage territoriaux à la fois pour la LPO et pour les équipes de gestion des espaces protégés sont nombreux. En voici les principaux.

SOUTIEN ET APPRÉCIATION DES ACTEURS DU TERRITOIRE

La mise en évidence du soutien des acteurs du territoire a été une information très utile pour les équipes de gestion. En particulier, les volets d’animation et de pédagogie sont souvent plébiscités par les acteurs rencontrés : le travail des animateurs, leur passion, leur personnalité… sont très appréciés ! Prendre conscience de cette reconnaissance permet de valoriser les réserves, auprès des autorités administratives ainsi que des acteurs locaux : cela permet d’illustrer que la réserve constitue une vraie valeur ajoutée pour certains acteurs du territoire.

CERTAINS ACTEURS NON RÉCEPTIFS

Sur la Réserve naturelle nationale (RNN) du marais d’Yves, le diagnostic a mis en lumière des acteurs qui n’ont pas été réceptifs aux efforts de communication et de sensibilisation opérés, demeurant par exemple sur des positions que l’équipe de gestion pensait dépassées. À l'avenir, la réserve pourra repenser son action : effort de communication, méthodes et outils, argumentaires, lobbying, appui d’acteurs extérieurs…

MIEUX COMMUNIQUER SUR LES RÉSULTATS

Les acteurs connaissent les réserves, leur périmètre, les équipes... mais pas les résultats de la gestion ! Les diagnostics ont mis en évidence le déficit de communication de toutes les réserves sur ce point, ce qui nécessitera un effort spécifique. Sur la réserve de Lilleau des Niges, ce déficit était en partie causé par un défaut de lien entre l’équipe dédiée à la gestion de la RN et celle dédiée à la communication (équipes différentes, définition non concertée des synopsis et des messages…). Les résultats du diagnoctic ont ainsi généré une réorganisation structurelle interne.

ÉQUILIBRER LE RELATIONNEL

Le travail par groupes d’acteurs permet de mieux comprendre où faire porter les efforts. Sur la RNN de Saint-Denis- du-Payré, le conservateur a pu réorganiser des priorités : plus de temps consacré aux agriculteurs du site (l’étude ayant constaté un déficit de dialogue : fréquence, implication…), en contrepartie d’un investissement un peu moindre dans les instances territoriales jusqu’ici fortement privilégiées, créant un trop fort déséquilibre relationnel.

PARTAGER ET DISCUTER

La conduite des diagnostics fut une occasion exceptionnelle d’offrir aux acteurs des territoires d’appartenance des réserves naturelles, de vrais temps d’échanges croisant les différentes perceptions des acteurs, leurs systèmes de référence respectifs, leurs visions du monde. Ces temps d’échanges, tant individuels (entretiens avec le sociologue) que collectifs (réunion de restitution avec tous les participants à l’enquête), permettent d’illustrer la diversité des points de vue, partager les perceptions positives, faire prendre conscience des points de blocage et d’en discuter ensemble.

FAIRE ÉVOLUER

Plus généralement, la confrontation de tous ces publics avec les résultats d’une étude qui les a impliqués, et la communication sur ses résultats, permet aussi de lever des a priori et de faire évoluer les ressentis : en effet, nombreux sont ceux qui se déclarent en soutien de la réserve, mais que les autres ne le sont pas, entretenant ainsi un engrenage défavorable. Mesurer les niveaux de soutien et de résistance résiduelle, et les montrer, fait évoluer les perceptions individuelles et collectives.

Ce poste, créé ici en appui aux réserves naturelles, serait possible sur d’autres types d’espaces protégés et auprès d’autres gestionnaires : collectivités et services décentralisés de l’État sont sensibles à la thématique des impacts socio-économiques qui peut permettre d’illustrer et valoriser les retombées positives de leurs actions et investissements sur le territoire. De fait, cette dynamique va se poursuivre à plus large échelle : l’ancrage territorial est un facteur clé de réussite du plan de gestion d’une réserve, et RNF souhaite promouvoir les diagnostics d'ancrage territorial en réserve naturelle et plus largement, au travers de la méthodologie des plans de gestion. Le projet doit voir le jour en octobre 2020 pour 18 mois avec la participation de 5 sites test (déjà sélectionnés)