PARTICIPER AUX DÉCISIONS

La co-décision : une compétence à mobiliser dès l’enfance

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Le Dossier

Christophe Trehet

Les possibilités qu’offrent les aires éducatives en matière de mobilisation des jeunes élèves et jeunes citoyens, séduit à la fois enseignants et gestionnaires.

Élèves de l’île d’Arz étudiant la laisse de mer de leur aire marine éducative. © Fabrice Jaulin - PNRGM

Élèves de l’île d’Arz étudiant la laisse de mer de leur aire marine éducative. © Fabrice Jaulin - PNRGM

Aiguiser le sens des responsabilité, développer la collaboration, ouvrir le dialogue : ce ne sont que quelques unes des vertus des aires éducatives. Animatrice nature dans le Morbihan et intervenante auprès de plusieurs classes travaillant sur une aire marine éducative, Anne Jacob est convaincue de l’intérêt de ce dispositif. « Lorsque je croise en septembre des élèves qui s’empressent de me parler de « leur » aire, où ils ont emmené, leurs parents pendant les vacances, je comprends que cela fonctionne vraiment bien en matière d’appropriation », témoigne-t-elle. « Les enfants sont placés au coeur de la démarche c’est le point le plus important dans ce type de projet », ajoute Déborah Martin, chargée d’étude à Réserves naturelles de France.

En effet, selon le principe défini par l’Agence française pour la biodiversité, les aires éducatives, qui se destinent à des classes de CM1 et CM2, voire de 6e, sont « gérées de manière participative par les élèves […] suivant des principes définis par une charte. » Ainsi, les élèves choisissent localement le site sur lequel ils vont intervenir, créent et animent un « conseil des enfants », au sein duquel ils vont discuter et décider des actions qu’ils entendent mettre en oeuvre pour la préservation du site. « Pour chaque étape, il s’agit donc d’une prise de décision collective et participative. Le fait de donner aux enfants cette responsabilité de [...] gérer une zone permet de les sensibiliser et de les mobiliser davantage », estime Déborah Martin. Le dispositif a d’autant plus d’intérêt qu’il s’adresse à un public à qui les démarches de mobilisation ne s’adressent pas souvent. « On touche un jeune public qu’on ne trouve pas dans les réunions publiques par exemple », rappelle à ce sujet Fabrice Jaulin, chargé de mission au Parc naturel régional du golfe du Morbihan, qui coordonne plusieurs aires marines éducatives au sein de son territoire.

MISER SUR LE LONG TERME

Pourtant les actions de sensibilisation à l’environnement ne manquent pas à destination des plus jeunes. Alors qu’est-ce qui distingue les aires éducatives ? « À la différence d’une animation ponctuelle, les aires éducatives permettent de construire un projet sur toute l’année scolaire et même sur plusieurs années », répond Anne Jacob. Chargée de communication au Conservatoire d'espaces naturels de Champagne-Ardenne, Emmanuèle Savart avance le même constat : « avec les animations de type vigie-nature école, engagées sur une année scolaire complète, nous avions déjà apprécié l’intérêt du long terme. Avec les aires éducatives, les enfants découvrent et s’approprient encore davantage leur patrimoine local. » Véronique Léandre, enseignante à Saint-Leu à La Réunion, a, quant à elle, inscrit l’aire marine éducative de l’école (3 ha, dont 0,34 ha de plage au sein de la Réserve naturelle marine de La Réunion) dans l’ensemble de son programme d’enseignement auprès des CM2. « Tout est fait à partir de ce projet : la lecture, la grammaire, etc. Par exemple, si l’on apprend le passé composé c’est parce qu’on doit rédiger un rapport au sujet de l’aire, donc ça a du sens ». L’inscription dans la durée, voilà la clé de la mobilisation selon la professeure des écoles : « les élèves sont actifs, ils vont sur le site de l’aire marine, font des observations, des relevés, analysent les résultats au retour et essaient d’apporter des solutions concrètes pour répondre aux problèmes qu’ils ont repérés. »

Le dispositif des aires éducatives prévoit que les élèves soient accompagnés tout au long de leur démarche par un spécialiste des espaces naturels (une association d’éducation à l’environnement par exemple), afin de les aider à découvrir l’écosystème de leur aire éducative. « À partir d’une lecture du paysage globale, qui va nous permettre aussi de découvrir l’histoire du site et les activités humaines, nous allons progressivement zoomer pour aller jusqu’à découvrir la faune et la flore », détaille sur ce point Anne Jacob, elle-même référente de plusieurs aires marines éducatives. Cette pratique permet aux élèves de prendre conscience de la richesse de la biodiversité qui les entoure, même « ordinaire », et des nombreuses interactions avec les activités humaines. Un des objectifs est d'amener l'élève à comprendre lui-même les enjeux présents sur son « site », explique François Morisseau coordonateur national de la démarche à l'Agence française pour la biodiversité (AFB).

UNE OUVERTURE SUR LA VIE LOCALE

Les aires éducatives impliquent une interaction des élèves avec les acteurs de la gestion des sites naturels, mais aussi avec les élus locaux. En effet, une fois le diagnostic effectué sur les enjeux de conservation du site de l’aire éducative qu’ils suivent, les élèves sont invités à formuler des propositions d’actions. Les communes sur le périmètre desquelles l’aire se situe sont alors amenées à prendre en considération les propositions. C’est une facette importante du projet. « À l’occasion d’une sortie sur l’aire marine éducative de notre école, nous avons ramassé avec les élèves 1 500 mégots en 1h. Les élèves ont alors décidé de fabriquer des cendriers à déposer sur la plage. Mais afin que ces cendriers ne se transforment pas en nouveaux déchets, et afin d’obtenir l’autorisation de la commune, ils en ont débattu avec le maire de Saint-Leu, rapporte Véronique Léandre. L’année d’après, qu’elle ne fut pas notre surprise lorsque nous avons appris que les élus avait voté un arrêté municipal d’interdiction de fumer sur la plage. » Ainsi, une aire éducative ne peut être tout à fait satisfaisante qu’à condition que les élèves soient écoutés. Sur ce point, la professeure des écoles de Saint-Leu reconnaît que le maire de son village « avec qui ce partenariat se passe très bien », « est très à l’écoute de nos sollicitations et actions ».

En revanche, sur l’île d’Arz, raconte pour sa part Fabrice Jaulin, les élèves de l’école primaire ont souhaité réfléchir sur la végétation littorale afin de réduire le risque de recul du trait de côte. « Une problématique qui nécessitait de mobiliser plusieurs acteurs et qui n’a pas pu être abordée à court terme avec les élèves. Mais une démarche a été engagée par les élus ».

LES POINTS D'ATTENTION

Si les aires éducatives suscitent un intérêt visiblement très partagé par la communauté éducative et les gestionnaires, la place réelle des élèves dans la construction du projet dépend beaucoup de la capacité du binôme enseignant- structure référente à les guider et les suivre sans décider à leur place.

« Un de nos enjeux principaux est de continuer à développer et à améliorer les outils et développer la formation dans ce sens, en lien avec les demandes qui nous remontent du terrain », précise Audrey Vaché, en charge des aires terrestres éducatives à l'AFB. L'idée de mettre les élèves en situation de compréhension et de réflexion sur les enjeux environnementaux de leurs sites est ambitieuse, mais il faut toujours garder à l'esprit que se sont des enfants et ne pas attendre d'eux qu'il rédigent un plan de gestion de trois-cents pages. « Nous sommes vigilants, car la limite est assez ténue entre cette expérimentation de l'écocitoyenneté et une trop grande responsabilisation des élèves pour des sujets qui sont du ressort des adultes. C'est toute la richesse du projet que les élèves puissent découvrir la biodiversité de leur site par les sens, par le jeu, plus généralement en utilisant toute l'expérience de l'éducation à l'environnement sur la découverte de la nature. Comme ce sont les enfants qui orientent le projet, il peuvent aller autant vers des démarches scientifiques ou culturelles que vers des démarches artistiques. D'ailleurs, la plupart des retours que nous avons montrent la richesse et la diversité des productions, évoquent le plaisir et la fierté collective de faire ensemble. Cela montre bien la qualité du travail des binômes enseignants référents, et le juste dosage entre responsabilité et plaisir dans la construction de ces projets », conclut le coordinateur national AFB.