DE L'INTENTION À L'ACTION

Psychologie sociale : les déterminants clés de l'engagement écologique

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Le Dossier

Andreas Eriksson, doctorant en communication environnementale - LERASS - Université de Toulouse III - andreas.p.eriksson@gmail.com,

Jean-Louis Pernin, maître de conférence en gestion – LERASS-CERIC - Université Paul Valery, Montpellier

Des chercheurs travaillant sur les pratiques de sensibilisation aux enjeux écologiques et l’évaluation des politiques publiques de la transition écologique ont dégagé trois facteurs de déclenchement de l'action en faveur de la nature : les émotions, les « autres » et le sentiment de notre capacité à agir.

La question de savoir comment susciter l’engagement en faveur de l’environnement dans les actions concrètes de nos quotidiens reste d’actualité, malgré une prise de conscience perceptible des enjeux écologiques. Pour cela, il convient de connaître les déterminants de l’engagement des individus dans l’action en faveur de la nature, mais aussi d’identifier les outils qui conduisent au mieux à cet engagement. En 2017 et 2018, deux études de terrain en Midi-Pyrénées ont été menées, au plus proche des problématiques rencontrées par les éducateurs à l’environnement du Graine et de l’URCPIE (associations régionales d'éducation à l'environnement). La synthèse des résultats1 obtenus montre les principaux facteurs psychosociaux qui peuvent susciter/freiner l’adoption des actions en faveur de l’environnement. Elle présente également les effets de la communication engageante sur l’adoption d’écogestes en entreprise. Une première enquête, co-administrée avec le Graine à plus de 1 770 répondants en Midi-Pyrénées, a permis d’identifier trois éléments clés de l’engagement pro-environnemental : les émotions, les « autres » et le sentiment de notre propre capacité à agir.

Le premier déterminant de l’« agir en faveur de l’environnement » réside dans les émotions positives suscitées par l'action : le caractère agréable et le plaisir qu’on y trouve. Si nous agissons, en partie, de façon rationnelle, nous sommes également guidés par nos émotions. Autrement dit, la sensibilisation par la seule information, par la « persuasion », ne suffit pas pour passer à l’acte. Surtout si cette information est trop effrayante, trop anxiogène à traiter. Nous détournons notre attention et l’évacuons aussitôt. La majorité des campagnes de communication environnementale tentent de nous persuader combien il serait utile et urgent d’agir en faveur de l’environnement. En fait, il serait certainement plus pertinent de faire appel à nos émotions, de susciter le plaisir d’agir. Au-delà de ces valeurs hédonistes, les motivations eudémoniques sont essentielles dans nos décisions d’actions, c’est-à-dire le plaisir d’être acteur de sa vie, de se réaliser à travers l’accomplissement des buts que nous nous fixons. L’art, les jeux et les défi s collectifs peuvent être des outils pour cela.

Le second facteur clé de l’engagement pro-environnement réside dans le comportement de notre entourage proche (amis, famille, collègues) et, plus globalement, renvoie aux regards et aux comportements des autres citoyens avec qui nous faisons société (interactions sociales). Nous nous conformons souvent aux codes de conduite valorisés ; ceci afin d’éviter les conflits. La peur du rejet social est un puissant moteur comportemental : comme par exemple être « taxé » d'écolo ou de pollueur selon l’identité sociale de son groupe d’appartenance. Selon une étude de l’Ademe (2019), les changements de modes de vie sont acceptés individuellement à condition qu’ils soient partagés de façon juste entre tous les membres de la société et qu’ils soient décidés collectivement. Les campagnes de communication peuvent montrer ce que les « autres » font déjà. Votre voisin, par exemple, fait attention à sa consommation d’énergie, d’ailleurs il consomme 10 % de moins que vous ! Le troisième déterminant identifié est le sentiment d’avoir ou pas la capacité d’agir. Ce sentiment de contrôle émane de nos croyances (par exemple, la qualité que l'on prête aux types de transports) et dépend de la disponibilité de solutions adéquates (par exemple, l'existence d'infrastructures sécurisées). Donner aux citoyens la capacité d’agir concrètement dans leur quotidien est une nécessité. Cela passe autant par l’éducation à l’écocitoyenneté que par des moyens matériels et/ou organisationnels adéquats. Que puis-je faire dans mon quotidien pour lutter contre l’érosion de la biodiversité dans les pays à faibles revenus ? Existe-t-il des outils pour me permettre d’agir pour cela lorsque je fais mes courses ou lorsque je suis au travail ? Ne suis-je pas contraint de me lamenter sur cette perte de biodiversité sans savoir comment agir ? À ce niveau, l’éducation à l’environnement doit être appuyée par des innovations écocitoyennes. Ainsi, il peut être intéressant de mettre en avant les initiatives écocitoyennes qui marchent et de donner à voir les solutions créatives existantes ou à expérimenter : des jumelages territoriaux Nord-Sud autour de la protection de la biodiversité par exemple. Finalement, l’engagement pro-environnemental renvoie à la distance que nous entretenons avec l’objet d’action. Le changement climatique ou l’érosion de la biodiversité peuvent être des enjeux trop éloignés de nos quotidiens, dans le temps et dans l’espace. Ces enjeux restent alors de grandes idées abstraites sur lesquelles nos actions peuvent sembler dérisoires. Il peut être difficile de trouver du sens à faire le tri de nos déchets ou à rouler à vélo afin d’éviter la fin du monde. Il s’agit alors de réduire cette distance en proposant des actions concrètes, à notre échelle, et au plus proche de nos motivations intrinsèques telles que notre santé et notre bien-être. D’autant plus qu’un nombre croissant de travaux en psychologie démontre que l’engagement et/ou la capacité de s’engager sont positivement associés au bien-être personnel. Les trois déterminants de l’engagement vus ci-dessus interagissent ensemble comme freins mais peuvent être réinvestis comme leviers de l’engagement, comme par exemple au travers de la communication engageante (lire glossaire p. 39).

L'ACTION AMÈNE L'ACTION

Avec les professionnels de l’éducation à l’environnement de l’URCPIE Occitanie, nous avons expérimenté la communication engageante dans vingt-huit entreprises de Midi-Pyrénées afin d’engager les salariés dans plusieurs écogestes. La communication engageante ne considère pas l’individu comme un acteur rationnel qu’il s’agit de persuader d’agir en lui donnant uniquement des connaissances. Sans renier les apports de cette « communication persuasive », la communication engageante table sur la mise en action de l’individu. Elle essaie de déclencher de petites actions concrètes : des actes préparatoires. L’action amène l’action, et l’action conduit à modifier nos représentations et croyances. Il s’agit de propulser l’individu dans l’engagement, dans l’expérience, le vécu afin qu’il puisse dé/reconstruire ses croyances.

Au sein de chaque entreprise, des ateliers collectifs ont été proposés aux salariés afi n qu’ils puissent décider eux-mêmes sur quelles thématiques (biodiversité, énergie, mobilité) et avec quels écogestes (hôtels à insectes, température ambiante, défi vélo) ils souhaitaient agir. Ces moments d’interactions et de dynamique de groupe ont permis d'engager les personnes individuellement dans un groupe d'actions avec et par le collectif. Les enquêtes (avant et après les ateliers) ont permis d’observer que les salariés, non seulement adoptent globalement plus d’écogestes, mais les trouvent plus utiles et plus faciles à réaliser. Nous avons également observé que ces écogestes sont exportés au sein du foyer du salarié, que les individus s’identifient plus à l’écologie et se sentent plus proches des actions en faveur de l’environnement et de la biodiversité. Finalement, nous constatons que les salariés se portent plus volontaires à encourager leurs collègues, se tiennent plus informés sur les actions environnementales de l’entreprise, et s’engagent plus dans les causes (autres qu’écologiques) qui leur sont chères.

Pour compléter ces résultats, d’autres recherches en psychologie de la conservation ont montré combien la (re) connexion à la nature est essentielle, afin de pallier l’inertie collective et l’anxiété individuelle que nous pouvons ressentir face aux enjeux écologiques. Le défi cit de nature (lire Cynthia Fleury et Anne-Caroline Prévot) nous conduit à la distance et entraînerait notre désintérêt à son égard. Les dispositifs de participation citoyenne mis en oeuvre par les acteurs de la protection de la biodiversité peuvent être de véritables leviers pour créer de l’engagement par la prise de décision collective et en faisant participer les individus dans des actions concrètes qui leur parlent.

(1) Deux guides ont été produits à l’issue de ces études et peuvent être téléchargés gratuitement ci-dessous.