PARTICIPER AUX DÉCISIONS

Aller chercher la parole des citoyens

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Le Dossier

Marie-Mélaine Berthelot

Recueillir les avis sur les grands projets impactant l'environnement, c'est aussi profiter de l'expertise du bon sens. Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), pense que le moment est favorable, du côté des maîtres d'ouvrage, comme de celui des citoyens, pour faire monter en puissance la participation.

Consultation des citoyens dans divers espaces publics. © CNDP

Consultation des citoyens dans divers espaces publics. © CNDP

Quelles sont les conditions pour qu'une consultation soit réussie ?

La première est la question de la confiance. C'est une question qui revient souvent : la retransmission de la parole de tous, sans filtre. Il est important aussi que les voies d'expression soient différenciées : réunions publiques, ateliers, thématiques, questionnaires numériques, débats mobiles, etc. Il faut multiplier les canaux pour recueillir un maximum d'avis. Notre obsession est d'aller chercher l'avis, et de ne pas se contenter d'ouvrir les portes. Il faut aider les gens à s'exprimer sinon on n'a que les fortes personnalités qui se font entendre. Par exemple sur la Montagne d'or (lire Espaces naturels n°68, Entretien), il n'était pas judicieux d'utiliser l'écrit pour recueillir l'avis des Amérindiens. Nous avons fait des réunions publiques en chantant. Il ne faut laisser aucun public de côté et retranscrire fidèlement toutes les expressions. Autre point important, il faut que tout ce qu'on sait du projet soit mis sur la table de façon intelligible. On a un souci permanent de la reformulation pour que tout soit transparent, y compris sur les points de controverse. Chacun doit pouvoir se faire son opinion. La préparation du débat est capitale. Toutes les parties prenantes doivent s'y retrouver, sinon on a une expression en tuyau d'orgue, chacun donne son avis et il n'y a pas de co-construction.

Les citoyens sont-ils motivés pour contribuer ?

Ce qui est déterminant, c'est le concernement. Pour participer, le citoyen doit comprendre en quoi il va être touché. Or je constate une montée en puissance de la prise en compte de l'impact sur le cadre de vie. C'est assez impressionnant. Il y a une rupture de mentalité. Par exemple sur les objectifs de modes de transports doux. À une réunion sur un contournement qui était proposé pour réduire les embouteillages, la question des expropriations n'a pas été primordiale, le développement durable était plus fort dans les arguments défendus. La question des écosystèmes n'est pas si forte. Les gens comprennent l'effondrement de la biodiversité, mais ils utilisent plutôt les mots de nature et de paysage. Par contre, il y a une grande défiance dans les données économiques. Les arguments de création d'emplois ne portent pas, les gens n'y accordent aucune crédibilité. Ils se basent sur leur bon sens, et ils ont souvent raison. C'est une expertise d'usage. Tous les sujets peuvent progresser dans l'espace public. Le moment est favorable pour impliquer les citoyens. Plus qu'une écoute respectueuse, il faut s'appuyer sur l'expertise des citoyens, qui peut être énorme ! On a eu le cas d'ingénieurs EDF qui ont présenté un projet. Les citoyens ont fait une contre-proposition, que les ingénieurs ont étudiée : c'était beaucoup plus intéressant !

Les porteurs de projet aussi sont prêts ?

Au début ils viennent à reculons. Mais il y a un phénomène d'apprentissage, ils évoluent, et se rendent compte qu'ils peuvent en tirer parti. Souvent ils progressent beaucoup dans la façon de monter le dossier. Il y a même une mode de la participation, au moins dans le discours. Mais que ce soient les maîtres d'ouvrage privés ou les collectivités, on voit une ouverture de plus en plus grande sur le sujet.