Ressources naturelles

La santé par la nature

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Pédagogie - Animation

Christophe Tréhet

Les pratiques thérapeutiques et préventives fondées sur une reconnexion avec les éléments naturels se développent progressivement en France.

Le concept de nature thérapeutique s’est progressivement inscrit dans le paysage médical. © Estelle Alquier - Terrhappy

Le concept de nature thérapeutique s’est progressivement inscrit dans le paysage médical. © Estelle Alquier - Terrhappy

Se balader à la campagne, prendre un grand bol d’air au bord de la mer, observer avec attention une abeille butiner. La nature, ça fait du bien. C’est une conviction pour nombre d’acteurs travaillant de près ou de loin au contact de la nature sauvage ou jardinée. Mais depuis les années 1980, plusieurs travaux scientifiques, dans le domaine de la biologie et de la psychologie notamment, éclairent et confirment cette intuition. Fort de ces avancées, l’accompagnement des personnes en situation de soin ou de handicap s’enrichit de protocoles fondés sur le lien à la nature.

« Parmi les premiers travaux utilisant l’influence d’un élément naturel, nous trouvons ceux de Moore en 1981 qui a observé, dans des prisons, que les prisonniers bénéficiant d’une vue sur la nature ont nettement moins de demandes de soin que leurs homologues ne bénéficiant pas de cette vue, explique Marie Larcher, sociologue de l’environnement qui s’intéresse à l’écothérapie, ensemble de pratiques d’immersion dans la nature dans le but de soigner ou de prévenir des pathologies. En 1984, Roger Ulrich publie les résultats d’une étude montrant chez des personnes hospitalisées des effets analgésiques de la vue sur la nature après une opération, ainsi que la baisse du temps d’hospitalisation. » Dans le prolongement de ces études, deux courants ont émergé dans les années 1990 et 2000 expliquant les effets de la nature sur la santé. La théorie dite de « la restauration de l’attention » de Stephen et Rachel Kaplan, chercheurs en psychologie, « révèle que passer du temps dans la nature améliore la concentration », comme le détaille Syrile Masrouki, doctorante en psychologie à l’université de Lorraine, et la théorie de la biophilie « montre, dans une approche évolutionniste, la tendance de l’homme à être attiré par le naturel et le vivant. » Le milieu forestier a fait, lui, l’objet d’une attention particulière, au travers notamment des travaux de Georges Plaisance, docteur en écologie, qui, poursuit Marie Larcher, « s’intéresse à la fois aux paramètres abiotiques (vent, humidité, luminosité, températures, ionisation) et aux paramètres biotiques qui mobilisent le système sympathique des humains (par la couleur, la forme, la texture ou les sons). Par exemple, il suggère des effets positifs des couleurs vertes en forêt, qui nous calment, à la différence du rouge (stimulation). » La sollicitation permanente subie en milieu urbain (bruits, dangers, images, sans parler des smartphones, etc.) renforce les effets négatifs des milieux artificialisés sur les personnes.

PETIT LIEU, GRANDS EFFETS

À partir de ces constats, « le jardin est redevenu un enjeu important pour des hôpitaux, hôpitaux psychiatriques et sanatoria dans le but de créer un environnement naturel plus attrayant pour le patient », analyse Marie Larcher. Le concept de nature thérapeutique s’est progressivement inscrit dans le paysage médical. Conceptrice de jardins thérapeutiques, Estelle Alquier forme également des personnels soignants et des paysagistes à la création de ces espaceset à leur usage. « Les jardins sont élaborés en accord avec les objectifs fixés par le personnel de soin, avec pour but en général de favoriser l’apaisement, l’estime de soi et la projection dans le futur. L’idée est de créer un espace sécurisé avec un jardin comportant une certaine diversité de plantes sensorielles, des lieux de repli et d’autres de convivialité, où les patients pourront se rendre régulièrement », explique-t-elle.

À la différence des chambres d’hôpital, monotones et toutes identiques, le jardin se révèle « très propice à l’expression de l’ensemble des fonctions psychologiques », pointe Martine Batt, professeur à l’université de Lorraine en psychologie de l’interaction. Qu’est-ce à dire ? « Le jardin, avec ses cortèges de couleurs, de texture et de senteurs exerce beaucoup de stimuli sur les personnes. Il fait aussi travailler la mémoire des personnes, il favorise le rappel et l’échange avec autrui car on a tous un souvenir de jardin dont on peut parler avec autrui. ». Résultat, les jardins thérapeutiques s’avèrent des outils précieux pour soigner les patients atteints de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer : « on note une diminution des comportements agressifs, de la déambulation, une amélioration du sommeil et de l’appétit, et donc une amélioration générale de la santé », signale ainsi Martine Batt.

En plus d’être un espace de détente, le jardin thérapeutique peut devenir pour les patients un lieu d’activité par la pratique du jardinage. On parle alors d’hortithérapie. « En prenant soin d’une plante, on sort des murs de l’hôpital, on devient celui qui prend soin, ce qui contribue à retrouver de l’estime de soi, résume Estelle Alquier. Le jardinage fait oublier la douleur aussi et améliore la forme physique, l’appétit. »

IMMERSION

Au-delà des lieux de soin, les initiatives fondées sur une expérience de nature pour améliorer le bien-être se diversifient. Au sein des Jardins de l’humanité, qui rassemblent plusieurs jardins thématiques et sensoriels dans les Landes, Estelle Alquier accueille des enfants dans le cadre des « mercredis de l’école buissonnière ». La « pédagogie par la nature » qu’elle met en oeuvre est faite de promenades dans des prairies, des forêts ou au bord d’un étang qui constituent autant d’occasions de découvrir ses sens, d’apprendre à coopérer ou à maîtriser des risques. Dans le cadre de sa thèse, Syrile Masrouki s’intéresse à la façon dont les jardins améliorent la santé au travail en réduisant le stress et in fine diminueraient les risques de burn out. Eden62 propose pour sa part des « randos bivouac » qui se déroulent sur deux jours et une nuit. Présentée comme « une vraie coupure par rapport au quotidien », ces sorties, associant ballade et méditation, accompagnées par des animateurs nature, ambitionnent d’offrir, comme le déclare Christian Ringot en charge de la communication de ce syndicat mixte intervenant sur les espaces naturels, « une reconnexion avec la nature, une occasion de découvrir une autre relation avec les éléments naturels, de partager et prendre le temps de vivre. »

Marie Larcher, quant à elle, accompagne à Bordeaux depuis plus d’un an des « bains de forêt », désignés par le terme shinrin yoku, puisque cette pratique a vu le jour au Japon. « Il s’agit de marches très lentes, d’une durée de trois heures environ, en milieu forestier, voire dans des parcs urbains, mais avec une densité minimale d’arbres. J’accueille des groupes de huit à dix personnes, détaille-t-elle. L’expérience propose une alternance entre activités sensorielles où l’on est invité à se concentrer sur ses sens et des temps de partage. Les retours sont jusqu’à présent très positifs. Des liens se tissent entre participants. » La pratique, qui rencontre un certainsuccès médiatique étant donné son originalité, n’échappe pas aux critiques. Les « câlins » aux arbres que certains proposent à l’occasion d’un bain de forêt stimuleraient la diffusion par les végétaux de molécules dans l’air, les phytoncides, qui auraient un effet positif sur le système immunitaire. « Mais seules quelques études scientifiques le démontrent pour l’instant, le processus reste donc à confirmer », avance prudemment Marie Larcher.