Avifaune

Faire que les réserves restent des refuges

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Gestion patrimoniale

Hugues des Touches, LPO, paysan, ex-conservateur de la Réserve naturelle nationale « Michel Brosselin » de Saint-Denis-du-Payré

Dans les marais littoraux centre-atlantiques, les réserves jouent un rôle de refuge important pour les oiseaux migrateurs. Il est possible de mobiliser les outils fonciers et réglementaires pour contrer le dérangement, notamment dû à l'activité de chasse.

Vol d'anatidés sur la Réserve naturelle nationale de Saint-Denis-du-Payré. © RNN de Saint-Denis-du-Payré

Vol d'anatidés sur la Réserve naturelle nationale de Saint-Denis-du-Payré. © RNN de Saint-Denis-du-Payré

La création et la gestion des réserves naturelles doivent quasi-systématiquement prendre en compte le paramètre cynégétique. Quand l’enjeu « oiseau d’eau » est fort, il convient de bien ajuster la pratique de la chasse pour qu’elle ne remette pas en question les objectifs de conservation.

À l’instar de la Réserve naturelle nationale (RNN) de Saint-Denis-du-Payré, une des missions principales des réserves du centre-ouest atlantique est de fournir des zones refuge pour l’avifaune migratrice en escale ou en hivernage. Or la répartition spatiale des oiseaux est conditionnée essentiellement par le dérangement lié aux détonations (lire page suivane), d'où une présence concentrée dans les réserves. Mais quand la réserve est de taille modeste, l’impact des coups de feu se fait sentir même au coeur de celle-ci. La réserve ne joue alors plus son rôle refuge sur l’ensemble de sa surface (voir cartographie page suivante).

De même que pour d'autres pratiques causant du dérangement à proximité d'une réserve, il est possible de prendre des dispositions foncières ou réglementaires pour une adaptation spatialisée de ces activités. À Saint-Denis-du-Payré, le projet vise à faire reculer des limites de la réserve, le territoire ouvert à la chasse aux gibiers d’eau, tout en y maintenant la chasse aux petits et grands gibiers, ou la régulation des espèces exotiques envahissantes, plus ponctuelle et moins perturbatrice dans la saison.

METTRE EN PLACE UN « PÉRIMÈTRE D'INTERVENTION »

Pour la RNN de Saint-Denis-du-Payré et la RNR de Choisy, situées dans un canton littoral, un périmètre d’intervention, après avis favorable des communes concernées, a été pris, en 2016, au bénéfice du Conservatoire du littoral. À l’initiative de la LPO, gestionnaire principal de la réserve, le Conservatoire a rapidement été convaincu du bien fondé de la démarche : une maîtrise foncière attenante à un espace protégé optimise largement les effets bénéfiques pour la conservation de la nature, contrairement à un site isolé.

Ainsi, cet établissement public s’est engagé à acheter les terres agricoles autour de la réserve dès leur mise en vente. Les Conservatoires des espaces naturels, en lien avec les collectivités, ou des Fondations peuvent être également mobilisés. Ces démarches peuvent être très longues. Pour le cas de Saint-Denis- du-Payré, ce projet d’acquisition est également lié à la mise en place d’une exploitation agricole, en polyculture élevage dont les pratiques respectent les écosystèmes bordant la réserve.

En compensation de ces terrains où la chasse ne peut plus se faire, les chasseurs peuvent pratiquer la chasse à la passée sur les parcelles nouvellement acquises, à l'opposé de la bordure de la réserve. Ainsi, l’éloignement du bruit des détonations offrira plus de quiétude au coeur des réserves. Pour que ces démarches aboutissent avec succès, il convient de bien connaître le monde de la chasse, ses territoires et ses hommes. Le dialogue doit être constant et la confiance réciproque. Rencontrer et discuter régulièrement avec les représentants de la chasse sur le sujet est indispensable.

UNE PROTECTION RÉGLEMENTAIRE POUR LE LONG TERME

Le Code de l’environnement prévoit que les réserves naturelles puissent se doter d’un périmètre de protection (article L 332 – 16 et suivants du Code de l’Environnement). Cet outil réglementaire est assez lourd sur le plan administratif. Un travail étroit avec les services de la Dreal et la DDTM est indispensable.

Pris par arrêté préfectoral, sur proposition ou après accord des conseils municipaux concernés, après enquête publique, le préfet peut mettre en place des périmètres de protection. Dans ces espaces, la réglementation peut restreindre les activités, de façon plus souple que dans le coeur de la réserve à proprement parler. L’arrêté peut reprendre tout ou partie de la réglementation du décret portant création de la réserve. Pour une acceptabilité et une efficacité optimales, chaque réglementation doit être travaillée avec soin.

Le Code de l’environnement prévoit que les réserves naturelles puissent se doter d’un périmètre de protection.

Les prescriptions peuvent soumettre à un régime particulier ou interdire toute action susceptible d'altérer le caractère ou de porter atteinte à l'état ou l'aspect des réserves. Outre la chasse, le gestionnaire peut élargir sa réglementation à d’autres volets d’activités impactant le territoire de la réserve. L’agriculture ou la limitation des espèces exotiques envahissantes, par exemple, peuvent faire partie de ces prescriptions. L’extension géographique doit également être en adéquation avec l’objectif recherché. L’effet perturbant de la chasse, ou l’influence hydraulique des territoires limitrophes, peuvent être des critères à retenir. Ces nouveaux territoires sont à intégrer au plan de gestion de la réserve elle-même.

Le gestionnaire peut faire le choix de conduire l’une ou l’autre démarche foncière ou réglementaire, mais il semble évident que les deux démarches conduites de façon concomitantes garantissent un résultat plus fiable dans le temps.

Il est important de préciser, dès le début des négociations, que cette démarche ne vise pas à interdire la chasse mais à l’adapter dans l’espace et dans le temps. D'un côté, les réserves augmenteront leurs capacités d’accueil en remise diurne pour les oiseaux d’eau. De l'autre, le capital d’oiseaux chassables sera conforté, dans la limite de prélèvements raisonnables en lien avec la dynamique de chaque espèce. Sur le plan social, le gestionnaire doit tisser des liens constants avec les représentants de la chasse, les syndicats de propriétaires, les acteurs fonciers, les exploitants agricoles et les élus locaux, tout en gardant une relation étroite avec les services de l’État en charge de ces questions.