La face cachée de la biodiversité
Le sol n’est pas un support inerte. Il est fait de vie autant que de matière. Le sol est un des plus grands réservoirs de biodiversité de la planète.
Plus du quart de toutes les espèces connues vivent sous nos pieds. Le sol est fait de vie autant que de matière. Du reste, le nombre d’espèces et la densité des organismes qui y vivent atteignent des niveaux très supérieurs à ceux observés en surface. Ainsi, un gramme de sol contient quelques milliards de cellules bactériennes et des centaines de mètres de filaments mycéliens. Le sol d’une prairie n’abrite pas moins de 260 millions d’invertébrés au m2. En zone tempérée par exemple, la biomasse bactérienne représente une à deux tonnes par hectare. Quant aux sols des régions tropicales, ils abritent cinq fois plus d’espèces d’insectes que la canopée.
Et l’exploration ne fait que commencer. En effet, à ce jour plus de 95 % des espèces vivant dans le sol n’ont pas encore été décrites. Chez les vers de terre, 3 300 espèces sont connues et l’on sait qu’il en reste au moins autant à découvrir. 25 000 espèces d’acariens ont été décrites, ce qui représente à peine 3 % du total estimé. Quant aux bactéries du sol, une grande majorité des taxons reste encore méconnue.
Hotspot microbien. Hétérogène, le milieu est composé de fragments issus de la dégradation des roches et de matière organique. Entre les particules du sol, des pores remplis d’air ou d’eau forment des « îles » où la vie est possible. Ces nombreux plis et anfractuosités façonnent une surface de colonisation pour la vie qui, elle-même, démultiplie les possibilités et favorise la diversité. Ainsi, des coléoptères découpent les végétaux, sur lesquels se nourrissent des acariens. Dans leurs déjections poussent des champignons sur lesquels se développent des
bactéries…
Soumis à l’influence des êtres vivants, certains compartiments de sol sont de véritables hotspots microbiens : la rhizosphère, zone autour des racines ; la détritusphère, zone de contact avec les débris organiques ; ou encore la drilosphère, à savoir l’espace enrichi par l’activité des vers de terre.
Biodiversité active. Le sol est la pièce maîtresse des grands cycles biogéochimiques (carbone, azote…) dans les écosystèmes terrestres. Il permet les échanges gazeux, liquides et de particules entre l’air, la terre et les êtres vivants. La plupart des processus élémentaires qui donnent au sol ses fonctions sont assurés par la faune et la microflore.
Les habitants du sol creusent, découpent, digèrent, transforment la matière. Petits mammifères, insectes, vers, champignons et bactéries ont, chacun, selon leurs compétences, des rôles complémentaires.
Les organismes vivants, ingénieurs et recycleurs, maintiennent la structure du sol, en régulent la chimie, influencent la fertilité et participent à la régulation du cycle de l’eau.
Les moins connus. Pourtant, bien qu’essentiels, les sols restent certainement parmi les écosystèmes les plus complexes et les moins bien connus de la planète. Les mécanismes sous-jacents sont loin d’être complètement décryptés par les scientifiques. Les travaux et les expérimentations sur les liens entre biodiversité et fonctionnement des sols ne permettent pas encore de répondre à toutes les questions.
Dans une communauté bactérienne, quelques espèces seulement sont numériquement dominantes alors que toutes les autres n’ont qu’un nombre limité de représentants. Mais le rôle des espèces minoritaires fait toujours controverse.
Qualité ou quantité ? Plusieurs approches de la biodiversité des sols se côtoient sans être incompatibles. Certains chercheurs considèrent que la bonne santé d’un sol se mesure par sa biomasse. Pour les évaluations ou les opérations de restauration, il conviendrait donc de cibler quelques groupes fonctionnels majoritaires. D’autres experts s’intéressent à la diversité, à la nature des assemblages d’espèces et aux potentiels d’évolution à plus long terme.
Quoi qu’il en soit, dans certains cas, on a pu remarquer que le rôle joué par les bactéries est davantage lié aux conditions de l’environnement qu’à leur diversité. Ainsi, si on élimine expérimentalement un grand nombre d’espèces minoritaires dans un sol, ses fonctions ne sont pas altérées.
Cependant, la multitude d’espèces est capitale. Les espèces minoritaires prennent le relais quand, soumises à une perturbation, les espèces dominantes voient leur effectif se réduire.
Cette biosphère rare est également un réservoir d’informations génétiques permettant l’adaptation à de nouvelles conditions.
Pratiques innovantes pour la gestion des sites. Le sol constitue également un réservoir de nouvelles molécules, dépassant largement ce qui pourrait être synthétisé. C’est une source d’innovation pour la médecine, les procédés industriels et pour optimiser la production agricole.
Identifié en 1928, le plus célèbre des médicaments, la pénicilline, provient d’un champignon du sol. Aujourd’hui, 70 % des antibiotiques présents sur le marché sont issus de bactéries du sol.
Certaines enzymes identifiées chez des micro-organismes entrent dans des procédés industriels. Inspirées par le génie naturel, des entreprises ont développé ces technologies, par exemple l’industrie du papier ou l’extraction minière (cuivre, or…).
En agriculture, l’inoculation avec des champignons ou des bactéries favorables aux plantes, a montré ses effets positifs sur la croissance et le développement de certaines espèces cultivées. La capacité des micro-organismes à métaboliser toutes sortes de composés, y compris les plus toxiques, est utilisée par l’ingénierie écologique.
Plusieurs espèces bactériennes capables de dégrader le pétrole ont déjà été décrites. D’autres peuvent traiter des polluants comme les pesticides ou les métaux lourds retrouvés en abondance aux abords des autoroutes ou sur des friches industrielles. Cette « biointelligence », comme on pourrait l’appeler, pourrait s’avérer utile au service de la dépollution des sols par exemple.
Capacités d’adaptation. Grâce aux mutations, à des temps de génération très courts et aux mécanismes de transferts de gènes, les micro-organismes du sol ont de remarquables capacités d’adaptation. Le cas du lindane en est un bel exemple : cette substance toxique a été utilisée comme pesticide agricole (interdit en 1998). Alors que dans les années 1940, aucune bactérie n’était capable de dégrader cette molécule, certains micro-organismes ont finalement acquis cette compétence après quelques décennies par combinaison de matériel génétique.
Enjeux pour la recherche. Les sols sont menacés et les enjeux sont de taille. Il devient donc impératif de soutenir l’activité scientifique afin de surmonter le manque de connaissances sur la biodiversité des sols et les services écosystémiques qui en dépendent.
L’exploration de cette diversité est un défi pour les scientifiques, notamment pour des raisons méthodologiques. Seulement 1 % des micro-organismes des sols est aujourd’hui décrit après leur mise en culture.
Les microbiologistes du sol ont été amenés à utiliser des méthodes basées sur l’extraction de l’ADN, remplaçant l’identification morphologique des espèces.
Grâce aux développements des techniques moléculaires, la richesse du sol en micro-organismes commence à être mesurée.
Indicateurs de qualité. Pour surveiller la qualité des sols, une batterie d’indicateurs, simples ou composites, a été mise au point. Ils peuvent être basés sur la biomasse, sur l’abondance ou la diversité de certains groupes biologiques, comme les vers de terre. Mais les travaux sont toujours en cours (programme Envasso) et il n’existe pas aujourd’hui de système standardisé d’indicateurs.
Des études sont également menées sur les relations entre diversité et fonctionnement des sols1. Elles permettront de mieux évaluer les impacts des activités humaines et de mieux cibler les mesures de gestion, pour les sols, de manière générale ou en visant tout particulièrement leur biodiversité.
Cet article est issu d’une publication de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité : Sols vivants ; la face cachée de la biodiversité. Des clés pour comprendre la biodiversité, n°1, avril 2011.
1. Comme le projet Betsi qui propose de synthétiser et d’organiser les informations sur les traits biologiques et écologiques des invertébrés du sol. L’originalité de ce projet réside dans le développement d’une base de données sur cette face cachée de la biodiversité. Programme phare de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, il est financé par le Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité.