Environnement ou développement économique ?

 

Espaces naturels n°33 - janvier 2011

Le courrier

Laurent Chazee
Tour du Valat

 

Comment mieux intégrer les préoccupations environnementales dans les programmes de développement ?

Quelque vingt-quatre ans passés dans les pays d’Asie et d’Afrique m’amènent à poser un regard sur la manière dont est pris en compte l’environnement, dès lors que l’on pose des questions liées au développement économique et plus particulièrement dans les pays pauvres.
Cette réflexion émane de ma double expérience professionnelle. À l’international tout d’abord où, épousant les Objectifs de développement du millénaire, j’ai œuvré contre la pauvreté et pour le développement durable. Au sein de la Tour du Valat ensuite, où je m’attelle actuellement à la protection des zones humides en Méditerranée et au développement durable.
Même vocable ! Et pourtant…
Il existe une dichotomie entre les méthodologies, terminologies, réseaux d’acteurs appartenant au monde de la conservation et celui du développement économique, sans solution partagée au final.
Ainsi, mes « premiers pas » à la Tour du Valat m’ont amené à constater que la majorité des chercheurs et conservateurs ignoraient des pans entiers de développement durable « socio-économique ». Dans la discussion de tous les jours, cette segmentation prend un tour handicapant : la culture des acteurs diverge au point que chacun analyse les questions en fonction de la voie d’entrée de son concept : l’environnement, le social ou l’économie. Les gens de la conservation ne connaissent quasiment pas l’approche humaine, Livelihood,  largement utilisée dans le développement socio-économique et la lutte contre la pauvreté ; a contrario, les gens du développement n’ont le plus souvent jamais entendu parler de l’approche Pressions-État-Réponses développée par l’Agence européenne de l’environnement.
Deux méthodes qui incluent la nature et l’humain.
Au niveau individuel, il en découle, au mieux, une écoute sélective, au pire, un déni cognitif et une ignorance de l’autre qui conduisent à des dissonances. Il faut le reconnaître, nous faisons partie du problème !

Autre constat : chacun exerce sur son territoire avec ses propres règles et réseaux. En gros, les développeurs œuvrent dans les zones non protégées où le développement humain prend la main. Le réseau environnement intervient, lui, sur 4 à 10 % du territoire protégé par des statuts divers. Ces monopoles territoriaux maintiennent une imperméabilité entre réseaux : les leçons apprises ne sont pas transmises. Les acteurs de la conservation pourraient s’investir davantage auprès des développeurs pour influencer leurs diagnostic et décision.

Les premiers indicateurs du développement international sont issus d’une longue expérience. Ils sont aujourd’hui intégrés dans les logiques des politiques et des gouvernances nationales (PIB, taux d’accès à l’eau potable…). A contrario, les résultats de suivi issus de concepts nouveaux n’influencent pas toujours les processus de planification d’autant plus que l’expertise internationale s’est décalée vers le suivi-évaluation. Dans l’environnement, ces outils « passifs » se contentent alors de constater le déclin. Du reste, dans beaucoup de pays en voie de développement, les résultats qu’ils affichent n’ont pas d’incidence, notamment sur le niveau de financement des plans quinquennaux.
L’environnement reste souvent un axe sans obligation de résultat, un garde-fou politiquement correct, une annexe dans les documents de projet.
Seul l’objectif 1 des Objectifs de développement du millénaire et la lutte contre la pauvreté sont considérés comme les fédérateurs soutenus par l’aide internationale. Dans la balance des décisions, l’environnement pèse peu.

Si le modèle actuel d’aide internationale est maintenu, l’environnement continuera à se dégrader. Il conviendrait donc de mieux considérer l’environnement dans les textes qui portent les engagements supra-nationaux. Aujourd’hui, en effet, les différents États suivent les prescriptions, conventions, directives et autres engagements liés au développement durable à hauteur des finances internationales qu’ils permettent d’obtenir. À ce titre, les politiques des pays en voie de développement s’appuient principalement sur les Objectifs de développement du millénaire couplés à l’engagement sur des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté.
En effet, ces engagements conditionnent un appui financier bien supérieur à ceux permis par l’application de mesures liées aux conventions à « entrée environnementale » (convention sur la diversité biologique ou Ramsar). Aussi, tant que les aides au développement et celles liées à la convention sur la diversité biologique seront conçues séparément, l’environnement restera « annexe ». Le regroupement des deux types de mesures permettrait d’atteindre une masse critique, financière et technique, dans laquelle l’environnement atteindrait le même poids que l’économie et le social. Sans compter la réduction des guerres d’école ainsi que de la segmentation territoriale et méthodologique.
Une autre solution passe par le renforcement du concept de développement local : l’instrument de planification territoriale le mieux intégré pour que l’environnement soit pris en compte. En effet, son approche ascendante engage les acteurs du territoire qui, maîtres de leurs décisions, planifient l’action en fonction des bénéfices attendus. L’environnement prend alors toute sa place et peut entrer dans les priorités de planification.
Renforcer cette manière de faire suppose d’imposer une validation de cet outil de planification au niveau international.
Une autre mesure consisterait à institutionnaliser l’implication des experts de la conservation dans le processus d’établissement des plans locaux, dans les diagnostics territoriaux, dans la formation des agents locaux.
Rapprocher conservation et développement suppose aussi de considérer l’éducation des acteurs : adapter les systèmes d’éducation dès le primaire, créer des universités régionales de développement durable pour forger un référentiel commun de connaissance, initier des écoles régionales du développement local… Toutes ces initiatives pourraient constituer un formatage éducatif utile pour l’avenir de la planète.