Comprendre

Les indicateurs, entre science et politique

 

Espaces naturels n°33 - janvier 2011

Le Dossier

Simon Popy
Écologue

 

Le concept d’indicateur n’est pas consensuel. C’est un objet hybride issu d’un contrat de confiance entre l’exigeance scientifique et les contraintes de l’action. Indicateur ? De quoi parle-t-on ?

D’un côté, la réalité biologique : multifactorielle et complexe ; de l’autre, les politiques de gestion qui nécessitent d’exposer les faits de manière intelligible, afin de pouvoir prendre des décisions sur des bases suffisamment solides. À chacune de ces réalités correspondent des compétences associées : les personnes légitimes pour juger de la rigueur ou de l’aspect opérationnel d’un indicateur sont rarement les mêmes.
L’utilisateur/demandeur de l’indicateur en a généralement besoin pour agir sans avoir à appréhender toute la complexité du phénomène. C’est à lui de définir l’objectif de l’indicateur.
Au contraire, le concepteur/producteur est légitime par sa capacité à appréhender cette complexité et donc à la simplifier avec un minimum de déformation. En conséquence, un indicateur reposera toujours sur un contrat de confiance passé entre utilisateur (décideur) et producteur (scientifique), et sur la reconnaissance mutuelle de cette légitimité.
Cette double dimension des indicateurs implique un compromis permanent entre rigueur et opérationnalité. La qualité de ce compromis doit être évaluée selon divers critères dont certains sont intrinsèques à l’indicateur (sensibilité, absence de biais, précision, etc.) et d’autres externes. Parmi ces derniers, le plus important est la suffisance de l’indicateur vis-à-vis de l’objectif fixé. Ce critère vient moduler l’importance de tous les autres.

Les indicateurs présentent une variété d’utilisations, sur lesquelles il faut s’entendre :
• un indicateur aura une vocation descriptive lorsqu’il permet d’évaluer (au sens premier de suivre, mesurer) l’état et l’évolution, par exemple, d’un compartiment de la biodiversité, ou d’un type de service écosystémique ;
• cet indicateur aura une vocation prescriptive, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’extrapoler un état futur, dans le cadre de l’élaboration d’objectifs ;
• il pourra avoir une vocation normative, lorsqu’il s’agit d’évaluer a posteriori l’atteinte d’un objectif prédéfini. Évaluer est, ici, à entendre au sens politique de porter un jugement.

Appréhender la biodiversité suppose généralement de traiter d’interactions entre société et nature. Or, montrer une causalité ou un impact implique plusieurs facteurs. Une combinaison d’indicateurs est donc nécessaire.
Il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition mais d’un niveau élaboré d’utilisation, qui n’est pas sans écueil.
En effet, même bien conçue, une combinaison d’indicateurs ne constitue jamais une démonstration au sens de preuve mathématique1. Les liens d’évidence sont montrés par des corrélations, pour leur effet visuel, intelligible. Il s’agit d’une démonstration au sens de montrer, mettre en exergue, un phénomène.
Ainsi, toute corrélation utilisée pour son effet de communication doit être solidement étayée par une démarche scientifique basée sur l’expérimentation et le test d’hypothèses. La preuve n’est pas dans l’indicateur ou la combinaison d’indicateurs, mais dans le travail complémentaire de celui qui les construit.

Parmi les outils existants, les modèles d’interaction société-nature ont été créés pour faciliter la constitution de combinaisons d’indicateurs. On a beaucoup parlé de ces modèles, dont les plus connus sont les modèles PER (pression état réponse) et DPSIR (force motrice, pression, état, impact, réponse). Ils permettent de se donner un cadre de simplification et de communication homogène sur les relations de causalité entre indicateurs.
Toutefois, la nature multifactorielle de nombreuses interactions ne permet pas toujours d’entrer dans un cadre aussi simplifié.
Les cas concrets d’utilisation montrent que ces modèles sont souvent utilisés hors de leur vocation première, en tant que simples typologies, pour structurer des jeux d’indicateurs, illustration d’un fossé entre la fonction de l’outil vue par le monde scientifique et l’utilisation qui en est faite sur le plan opérationnel. Il est donc essentiel pour l’utilisateur de bien réfléchir au sens donné aux outils et, pour le producteur, à leur applicabilité.

1. La corrélation entre réchauffement climatique et taille des sous-vêtements au cours du siècle est très bonne, mais ne constitue pas une preuve.