Mexique

Le bas de laine du monarque

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Vu ailleurs

Thierry Lefebvre, UICN, thierry.lefebvre@uicn.fr

La protection du monarque, un papillon d'Amérique, repose notamment sur un fonds fiduciaire. Ce système permet d'impliquer les différents États concernés, mais surtout de garantir la pérennité des actions dans un contexte d'importante pression économique. Comment cela fonctionne-t-il ?

Les sites d'hivernage mexicains sont protégés par une réserve de biosphère. © Dreamdan

Les sites d'hivernage mexicains sont protégés par une réserve de biosphère. © Dreamdan

La solution novatrice du fonds fiduciaire a été expérimentée par le Mexique dans sa mission de protection d'une espèce emblématique, protagoniste d'un miracle migratoire (lire encadré) : le papillon monarque. Sur le sol mexicain, l'effort de protection de cette espèce a été partagé par le gouvernement et les organisations sociales et privées notamment pour limiter l'exploitation forestière illégale dans son habitat d'hivernage. Cependant, les mesures prises au Mexique ne sont pas suffisantes pour atteindre l'objectif de protection de l'espèce, puisque le problème de la conservation est également du ressort des États-Unis et du Canada. Un fonds a été créé en 2000, initialement pour acheter des droits d'exploitation forestière dans les zones centrales de la réserve de biosphère avant sa création : le Fonds monarque (FM). En effet, quand il a été décidé d'annuler les permis d'exploitation forestière, afin de protéger l'habitat, il a fallu dédommager les exploitants qui perdaient une source de revenus. Ensuite, les revenus du fonds servent à financer les actions de conservation, en particulier l'incitation économique à la conservation des forêts des zones centrales de la réserve.

Depuis 2013, il atteint les 7,5 millions d'euros grâce aux contributions du Fonds mexicain pour la conservation de la nature (FMCN), du gouvernement fédéral mexicain, des gouvernements des États du Michoacán et du Mexique,de la société civile (WWF) et de donateurs individuels (Fondation Packard). Le transfert de propriété (fiducie) est administré par le FMCN et soutenu par un comité technique multi-sectoriel. Les paiements pour les droits d'exploitation forestière ont pris fin en 2008, ce qui a permis la transition vers un système de Paiement pour services environnementaux (PSE), basé sur la superficie conservée, abondé avec les contributions de la Commission nationale forestière du Mexique (Conafor). Ainsi, deux types d'incitations économiques sont appliquées :

  • appui aux ejidos1, aux communautés autochtones et aux propriétés privées pour la modification de leurs permis d'exploitation forestière dans la zone centrale, et paiement de 18 dollars par mètre cube de bois qui ne sera pas coupé;
  • soutien aux ejidos, aux communautés autochtones et aux propriétés privées sans permis de récolte, qui recevront 12 dollars par hectare conservé. Ces paiements sont effectués en échange d'un engagement à conserver la zone centrale et à collaborer avec la réserve de biosphère pour assurer sa protection.

Grâce aux intérêts générés par le fonds patrimonial FM, le Monarch Conservation Fund Trust a été créé. Il établit un programme permanent de compensation pour le paiement direct aux ejidos qui avaient des permis d'exploitation forestière et des incitations économiques telles que des PSE à 34 ejidos, des communautés autochtones et des propriétés privées dans la zone centrale de la Réserve de biosphère. La mise en oeuvre du mécanisme de PSE, envisagée par le FM, s'est déroulée en deux étapes. Dans un premier temps, entre 2000 et 2009, les intérêts du fonds visaient à soutenir les deux types d'incitations économiques mentionnés ci-dessus. La plus grande partie du montant donné correspondait au montant disponible pour une répartition équitable, c'est-à-dire que les ressources ont été reçues par le président du commissariat ejidal de son assemblée, qui a divisé le montant total par le nombre d'ejidatarios. En outre, les paiements pouvaient varier en fonction des contributions aux tâches de conservation ou selon les modalités fixées par leurs assemblées. D'autres sommes ont été allouées pour soutenir le renforcement de la police de proximité, les travaux collectifs (comme la réfection des routes, l'approvisionnement en eau, la réparation des écoles, des églises, etc.)

L'impact de l'exploitation forestière illégale dans l'habitat d'hivernage de la réserve de biosphère du papillon monarque a considérablement diminué.

Dans la deuxième phase, de 2009 à 2026, Conafor s'est associée à cet effort de conservation en créant des mécanismes locaux de PSE par le biais de fonds de contrepartie : plus de 9 millions de dollars iront directement aux 38 propriétaires de la zone centrale sur une période de 18 ans.

Pour Eligio García Serrano, coordinateur FM, la récupération de 700 hectares est l'une des grandes réalisations du programme. Cet objectif n'a pas été facile à atteindre car, dans une large mesure, la gestion communautaire de la Réserve de biosphère pose des problèmes liés à son système de gouvernance, qui implique 9 000 personnes. Mais, selon García Serrano, un ejido organisé peut générer plus de profits en apportant des bénéfices à la Réserve de biosphère et à ses habitants même si de nombreux ejidatarios ont le sentiment que les fonds qu'ils reçoivent ne sont pas vraiment compensatoires.

Quels sont les résultats ?

L'analyse des menaces en Amérique du Nord et en particulier au Mexique met en évidence que l'impact de l'exploitation forestière illégale dans l'habitat d'hivernage de la réserve de biosphère du papillon monarque a considérablement diminué. Les données scientifiques révèlent que le Monarch Fund a réussi à réduire les taux de dégradation et de déforestation dans la réserve. Des scientifiques ont trouvé des preuves que la combinaison de la protection légale de la zone (décret de zonage) et des incitations financières fournies par le FM ont soutenu la conservation des forêts d'hibernation des papillons monarques. Ces auteurs estiment que, bien que 9 % des zones interdites d'exploitation aient été déboisées depuis 1993 et que 15 % des forêts denses aient disparu, la perte aurait atteint respectivement 12 % et 26 % sans l'existence de ces instruments de protection. Ces résultats démontrent clairement que les mécanismes financiers à l'appui de la conservation, coordonnés avec le travail de nombreuses institutions poursuivant le même objectif, font partie intégrante de la formule visant à réduire la déforestation.

[1] Les ejidos, dans l'organisation sociale du Mexique, sont des communautés locales équivalant à un village.