Revues systématiques

La science à la portée des gestionnaires

 

Espaces naturels n°63 - juillet 2018

Études - Recherches

Les revues systématiques sont en plein essor dans le secteur environnemental. Ces synthèses bibliographiques qui suivent un protocole standardisé offrent aux gestionnaires d’espaces naturels un accès plus aisé à la recherche.

La revue systématique, méthode de réalisation de synthèses bibliographiques, est en plein essor dans le secteur environnemental.

La revue systématique, méthode de réalisation de synthèses bibliographiques, est en plein essor dans le secteur environnemental.

Compte tenu de son érosion actuelle, la prise en compte de la biodiversité dans les politiques, stratégies et actions est devenue incontournable. Pour être efficace, celle-ci doit s’appuyer sur la connaissance scientifique matérialisée dans la littérature (articles académiques, thèses de doctorat, rapports d’expertise, etc.). Il s’agit d’un véritable enjeu de bon usage des finances publiques car appliquer des mesures de conservation qui ne reposent sur aucun fondement scientifique peut se révéler sans effet voire contre-productif. Or, la majorité des mesures prises par les praticiens de la biodiversité ne reposerait pour le moment que très peu sur des bases scientifiques (cf. encadré).

Il existe donc un vrai besoin de transfert des connaissances de la recherche vers les acteurs opérationnels - notamment vers les gestionnaires d’espaces naturels - sous la forme de synthèses bibliographiques. Plusieurs méthodes sont proposées pour le faire, qui se distinguent par leur rigueur et leur recherche de complétude et d’objectivité. Parmi les plus robustes, on peut citer la revue systématique, développée au cours des années 1970 dans le secteur médical et actuellement en plein essor dans le secteur environnemental.

 

UNE MÉTHODE ACCRÉDITÉE À L’INTERNATIONAL

La revue systématique cherche à répondre à une question précise (ex  : évaluer l’impact de telle ou telle activité humaine, etc.). Pour cela, elle suit une méthode standardisée et accréditée à l’échelle internationale composée d’une série d’étapes destinées à minimiser les risques de biais, de parti pris et de pression sur les conclusions. Cette démarche comprend plusieurs étapes clés  : (i) l’identification de la question ; (ii) la collecte, l’organisation et le tri de la littérature ; (iii) la compréhension et l’évaluation des biais des publications en vue de leur exploitation ; (iv) la préparation des données et les méta-analyses si la littérature le permet  ; et (v) la rédaction de la synthèse et sa diffusion. Ce processus comprend divers mécanismes de contrôle internes et externes tels que la vérification de l’exhaustivité de la recherche de littérature qui est un élément crucial dans une synthèse bibliographique. De surcroît, les données brutes (articles « princeps ») et les prises de décisions (ex  : pertinence de retenir ou non un article) sont enregistrées et disponibles. En outre, une participation élargie d’acteurs (contributeurs, relecteurs, etc.) vise à l’approbation collective de la démarche adoptée. Cette méthode offre une robustesse et une transparence qui permet à des pairs une reproduction/ mise à jour ultérieure du travail et à l’utilisateur de la revue systématique d’apprécier l’incertitude attachée aux résultats. Dans l’environnement c’est la communauté d’acteurs «  Collaboration for Environmental Evidence  » (CEE) qui a formalisé la méthode et la publication des synthèses dans le journal « Environmental Evidence »1 (EE). Une première publication « protocole » est exigée au préalable, pour exposer la méthode et engager l’acceptation par les pairs (avec modifications si nécessaire). Ensuite, la revue systématique précise et justifie les éventuels écarts au protocole publié antérieurement avant de présenter les résultats obtenus et de les discuter. Les publications du journal EE sont accessibles en ligne gratuitement afin de favoriser la transparence, la lecture critique, et la reproduction/actualisation des travaux menés. Généralement, la revue systématique n’est pas le produit final exploité directement par le gestionnaire, dans la mesure où elle demeure un article académique en anglais (même si elle est accessible gratuitement en ligne). Des supports de diffusion sont alors à envisager pour transmettre les résultats de la revue aux acteurs opérationnels.

 

PREMIÈRES APPLICATIONS

En France, l’usage des revues systématiques est très récent, en particulier en écologie. En 2015, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) a été désignée comme centre français représentant officiellement la CEE. La première revue systématique française en environnement (projet COHNECS-IT2 ) a été produite en réponse à un appel à projet du Club des infrastructures linéaires & biodiversité (CILB), du ministère en charge de l’écologie (programme ITTECOP) et de la FRB. Elle a été pilotée par l’UMS PatriNat, en collaboration avec différents établissements (Cesco, Cerema, Inra, Irstea, UPMC). L’objectif était d’informer les gestionnaires d’infrastructures linéaires de transport sur le rôle potentiel que ces structures peuvent avoir pour la biodiversité sous la forme d’habitats ou de corridors via leurs dépendances (bords de route, berges de voies fluviales, etc.). De nombreux sujets justifieraient la réalisation d’une telle revue systématique pour les gestionnaires d’espaces naturels. Dans certains pays (par exemple en Suède), le recours aux revues systématiques est devenu un « réflexe » de la part des gestionnaires ou des pouvoirs publics. Il est indispensable que la France rejoigne le mouvement et que les acteurs opérationnels dans le domaine de la conservation de la biodiversité s’en emparent. On peut souligner d’ores et déjà que, conscient de cette nécessité, Réserves naturelles de France a souhaité faire appel à l’UMS PatriNat pour inclure la réalisation de synthèses bibliographiques de type revues systématiques dans son projet de LIFE sur la biodiversité et le changement climatique soumis récemment à la Commission européenne.