Les salins, nature et culture à l’oeuvre

 

Espaces naturels n°53 - janvier 2016

Le Dossier

Par Marion Thiba,
Directrice de la culture au Parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée

Les salins, nature et culture à l’oeuvre

En quoi les espaces naturels sont-ils aussi des espaces de culture (« culture » comme définie plus loin) ? De la place que j’occupe, il me semble que cette interrogation mérite d’être inversée : en quoi les espaces de culture sont-ils aussi des espaces naturels ? L’exemple des salins peut démontrer que nature et culture sont intrinsèquement liées, qu’elles sont à considérer comme les deux faces d’un même paysage. Le littoral audois, qui fait partie du Parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée, en comprend de nombreux, toujours en activité pour certains, exploités par un saunier privé produisant du sel de déneigement, à l’abandon pour d’autres, gérés par le Parc avec les communes concernées.
Espaces de l’entre deux, fascinants par leur platitude et leur vaste horizon, les salins sont bousculés par les éléments de la nature, le vent, les coups de mer dont ils ont su tirer parti et ponctués d’ouvrages bâtis par les hommes, rappelant leur vocation première – martelières (vannes), rouets (stations de pompage), tables salantes, transformateurs électriques… Ce sont des lieux hautement culturels, si l’on considère la culture au sens anthropologique, comme la façon dont les hommes se sont emparés des ressources de la nature pour améliorer leurs conditions de vie et inventer des savoir- faire, des techniques, des usages tout à la fois pratiques et symboliques (quoi de plus symbolique que le sel ?). Cependant, alors qu’ils sont le fruit du travail acharné des hommes, ces vastes territoires entre terre et mer sont perçus par beaucoup comme des « espaces naturels ».

Les salins sont un bon exemple de l’évolution de la perception de la nature par l’homme (changement de notre regard, évolution des mentalités au sujet de la biodiversité désormais considérée comme un bien commun) et du processus de « patrimonialisation » (changement d’usage, lieu de travail devenant aussi lieu de récréation et de découverte d’un patrimoine, tant naturel que culturel).

Au fil du temps, une double métamorphose de la nature en culture et de la culture en nature s’est produite. Plusieurs facteurs se conjuguent, dont certains remontent à loin. En effet, nous avons devant les yeux un espace « antique » qui a peu changé depuis vingt siècles - le paysage et les techniques sont toujours les mêmes dans leur principe -, avec des aménagements « naturels » entièrement en bois, des planches et des pieux constituant l’essentiel des partènements - le bois est le matériau qui résiste le mieux au sel, encore aujourd’hui -, où sont utilisées des techniques « écologiques » ancestrales - action du vent et du soleil pour faire évaporer l’eau et produire le sel -, un savoir-faire « durable » qui n’épuise pas la ressource. Dans les salins en activité, ce que nous voyons à l’oeuvre aujourd’hui est un patrimoine vivant, non rejoué, non muséifié. Nous pouvons découvrir un métier dans son environnement, puisque s’exerce ici une activité économique réelle, à laquelle s’ajoute une nouvelle offre de loisirs - boutique, restaurant, sentier de découverte, petit musée. L'exploitation, grâce à la mise en eau du printemps à la fin de l'été, rend ces espaces propices à la nidification des laro-limicoles.
Les salins forment ainsi un patrimoine « naturel culturel » à sauvegarder et à constamment réinventer. Et c’est en connaissant l’histoire de ces paysages que l’on peut mieux les comprendre et les gérer, bien entendu.

© F. Dautais