Le dossier lu par... Vincent Andreu-Boussut
Espaces naturels n°53 - janvier 2016
Vincent Andreu-Boussut, maître de conférences en géographie à l'université du Maine
De l'écologie à l'ethnologie, de l'anthro pologie à la philosophie, de Claude Levi -Strauss à Philippe Descola, de Bruno Latour à Catherine Larrère, sciences et scientifiques ont largement fait la preuve qu'on ne peut penser aujourd'hui la nature hors de la société. Depuis les années 1970, de nombreux concepts ont permis de sortir de ce « grand partage », qu'il s'agisse de la biodiversité culturelle (convention sur la diversité biologique) ou de l'écologie de la réconciliation (Michael Rosenzweig). L'infléchissement des politiques de mise en patrimoine de la nature dans la seconde partie du XX e siècle en faveur d'une intégration de la diversité culturelle et des patrimoines culturels en est le témoin le plus saisissant : réserves de biosphère de l'Unesco, mettant les savoirs naturalistes locaux au cœur de la gestion, paysages culturels du Patrimoine mondial de l'Unesco, valorisant le caractère hybride et vivant des patrimoines paysagers, parcs naturels régionaux en France, œuvrant en faveur de nouveaux modes de développement socio-économique fondés sur un projet de valorisation patrimoniale.
Sur le terrain, les missions et les expériences des gestionnaires des espaces du patrimoine racontent les voies possibles de cette réconciliation, sa complexité ou ses paradoxes évidemment, mais aussi le foisonnement des possibles. La multiplicité des situations locales révèle toute une gamme de variation des hybridations possibles entre nature et culture. D'un côté, il y a des espaces protégés qui œuvrent en faveur de la conservation du patrimoine culturel comme le Parc amazonien de Guyane (cf. p.31), tandis que de l'autre côté, des espaces du patrimoine culturel se soucient du patrimoine naturel qui cohabite avec les traces de l'histoire comme au mont Beuvray (cf. p.34) ou dans les forêts de Verdun (cf. p.30).
Le défi est permanent pour les gestionnaires. Ces nouvelles postures obligent à décloisonner les savoirs, entre savoirs scientifiques et savoirs locaux, et à hybrider les connaissances disciplinaires (écologie, anthropologie, histoire). Elles imposent aussi une plus grande ouver ture des espaces du patrimoine aux sociétés locales, à leurs habitants et à leurs usagers, et obligent à inventer de nouvelles formes de gouvernance patri moniale locale. Elles invitent enfin à dépasser les risques de muséification et à penser les liens nature-culture au delà des seuls espaces protégés car ce qui fait patrimoine ici pour nos sociétés est vivant et évolutif.