La médiation culturelle
Une petite fille de 7 ans saute au cou de sa copine : « Ah Julie, c’est trop beau ! » Qu’est-ce qui suscite un pareil enthousiasme ? Une vitrine d’écomusée où est rangée une collection de cuisines de poupées qui évoque très fidèlement les modèles des « grands » dans les années 50 et 60. Juste à côté, dans une autre vitrine, des rangées de corn flakes et de friandises sucrées… Où est-on ? Dans une très sérieuse exposition de l’écomusée Paysalp, qui n’a pas oublié les groupes d’enfants dans son parcours. Mais Paysalp n’est peut-être pas un écomusée comme les autres… Ses clés d’entrée dans le patrimoine ? Le ressenti, l’émotion, l’humour… Depuis plus de vingt ans, depuis sa création en fait, il propose une visite de son « musée paysan » sous forme de jeu. Ses « médiateurs », inspirés du café-théâtre, se qualifient eux-mêmes de « guides-acteurs ».
En « virée » dans le paysage.
La « Foueze » monte dans le bus
des touristes mosellans comme on monte à l’abordage ! C’est une petite dame dans un costume hétéroclite, encombrée de valises et survoltée ! Chauffeur, passagers, passants… rien n’échappe à ses répliques mordantes. « Hé, gamine, qu’en dis-tu ? » Les passagers s’esclaffent, la « gamine » en question est leur doyenne : quatre fois vingt ans… Le car s’ébranle depuis la « fruitière » de Mieussey : « Mieussey ? Pourquoi Mieux c’est ? Parce que c’était mieux de mettre le clocher ici, plutôt qu’ailleurs. Ici, au milieu de ce grand cirque glaciaire… » raconte la voix populaire par la bouche de La Foueze. « Et là, chauffeur, on s’arrête… mets les feux de détresse que j’explique aux gens ce que c’est que ce bâtiment. » La bâtisse de type industriel, pas toute neuve, ne paie guère de mine. « Histoire classique : je m’installe, j’exploite, je licencie… » : une usine de traitement du manganèse, 1992 ; 362 chômeurs. On poursuit. St-Joire (ou Georges, patron des cavaliers) : son château, marqué de la reconnaissance royale pour la participation de son propriétaire aux croisades et célèbre pour avoir abrité St-François de Sales, prince évêque de Genève. Viuz-en-Sallaz et son architecture néoclassique sarde. Et oui, la Savoie a fait partie du royaume sarde. Le car chemine par les petites routes, d’un village à l’autre, d’une anecdote à un récit historique, d’un commentaire humoristique à un développement économique : et personne ne dort malgré le bercement du moteur et le bon repas de midi. Le soir, à l’arrivée, la satisfaction sera unanime et une seule remarque résumera l’impression de tout le groupe du « 3e âge » - comme on dit -, qui s’était inscrit à cette « virée légendaire » : « Depuis une semaine qu’on est en Savoie, on nous en a montré des choses. Mais cette journée-là, je ne l’oublierai pas ! »
Arrivé à « l’alpage » de Mieussey, tout le monde descend pour une « randonnée » de dix minutes. Mais ça monte dur pour les vieilles jambes par le petit chemin qui rejoint le chalet d’alpage. Et là, changement de ton. Un accordéoniste nous attend avec un petit air. Tous s’assoient. De fil en aiguille, l’atmosphère bon enfant se change en émotion à l’écoute du récit du « chamois blanc ». L’histoire d’un berger emporté par la tourmente de la guerre (de 14) et qui, à son retour, constate que personne ne l’a attendu. Mais plutôt que de se pendre - ce qui était sa première intention -, il se consacre à former des générations de jeunes Savoyards qui, à ses côtés, se succéderont comme apprentis. Jusqu’au jour où… Mais je ne vous raconterai pas toute l’histoire !
Un mot d’ordre : partenariats.
Paysalp est une association loi de 1901. Elle réunit plusieurs sites et leurs gestionnaires (le musée paysan, le chalet d’alpage, la fruitière de Mieussey, le prieuré de Peillonnex) ainsi que des particuliers qui s’engagent bénévolement pour participer à l’animation de leur patrimoine. C’est aussi une entreprise « d’ingénierie culturelle » qui emploie jusqu’à dix permanents et autofinance 80 % de son fonctionnement (un budget d’environ 500 000 euros) compte tenu de la mise à disposition gratuite de ses locaux par les communes. Et tous les « produits » à mettre au bilan, il a bien fallu aller les chercher, un par un, jusqu’à assurer 80 % des recettes par les visites de groupe (adultes ou enfants). Et les participations aux « virées » augmentent.
Pour y parvenir, un mot d’ordre : nouer des partenariats de proximité. En d’autres termes, ancrer concrètement ses projets dans le territoire en les concevant et en les exploitant avec les acteurs locaux.
Associations, offices du tourisme, producteurs locaux, restaurateurs, établissements scolaires, bénévoles, politiques et institutionnels… il faut tout un réseau de relations pour créer un produit culturel et touristique tel que l’écomusée. En même temps il ne faut pas perdre de vue « le sens de son action, et les valeurs que nous sommes amenés à défendre ou à promouvoir » explique Véronique Drouet, conseillère régionale, présidente de l’écomusée, tandis que Monique Cocolomb, responsable de l’animation précise : « Le plus important, dans un tel projet, c’est de se poser la question du “pourquoi” : que veut-on faire passer ? Et qui porte ces idées ? La notion d’écomusée a une connotation passéiste, traditionaliste, alors que ce patrimoine n’est nullement poussiéreux. C’est sur lui, à l’inverse, que nous nous appuyons pour faire mieux connaître notre région devenue ce qu’elle est. Nous voulions que nos visiteurs s’interrogent sur les réalités de la vie en montagne, hier ou aujourd’hui. Nous voulions leur offrir des questions, pas des réponses toutes faites. »
La base, c’est la formation.
« Pour ça, notre statut d’association nous aide beaucoup. Oh, pas pour être assurés d’un financement pérenne. C’est plutôt le contraire ! Mais pour la liberté d’expression qu’il nous permet. Nous ne sommes pas la “voix” d’une institution ou d’un politique. Nous revendiquons le droit à l’expression personnalisée tout en nous assurant d’une véritable crédibilité par une démarche de formation structurée. Parmi nos employés, nous avons un responsable scientifique et nous faisons appel à des animateurs qui peuvent être salariés ou externes (guide du patrimoine, accompagnateur en montagne…). Chacun a participé à des formations internes sur l’histoire, l’art, l’économie locale et peut compléter son bagage grâce au centre de ressource (la “maison de la mémoire”…). En outre, nous avons reçu une formation avec un metteur en scène pour une initiation aux techniques théâtrales qui constituent la “marque” de la médiation culturelle vue par Paysalp.
Bien sûr, nous n’échappons ni aux critiques ni aux échecs : notre façon de faire est difficile à vendre quand on ne nous connaît pas. On nous soupçonne vite de faire juste des “clowneries”… Il y a des tranches d’âge que nous ne parvenons pas à intéresser : les ados, les jeunes… Et nous n’avons pas de bons résultats avec les visiteurs individuels dont le nombre baisse. Sauf, peut-être, avec l’événementiel, comme le spectacle L’Odyssée de Peillonnex monté l’année dernière dans le village et l’abbaye, autour d’un scénario sur le dialogue des religions.
Actuellement nous sommes en cours d’agrément “Musée de France” et “organisme de formation”. Notre objectif est de proposer un stage de formation aux structures qui en font la demande, dans la région ou ailleurs. Ce stage comprendrait : un voyage d’étude par l’équipe de Paysalp (pour repérer les acteurs et les enjeux), une visite en compagnie des “guides-acteurs” et deux journées de formation théâtrale. Former les autres, c’est aussi se former. »
D’après un entretien avec Monique Cocolomb, responsable de l’animation écomusée Paysalp
En savoir plus
Écomusée Paysalp - 74250 Viuz-en-Sallaz
paysalp@paysalp.asso.fr
www.paysalp.asso.fr