Notre-Dame-de-Miremer (var) : une nouvelle vie après incendie

Le projet artistique : une sculpture, avec la nature pour matière.

 
Rencontre avec Joël Auxenfans, artiste

Espaces naturels n°32 - octobre 2010

Aménagement - Gouvernance

Michelle Sabatier

 

À l’été 2003, un incendie dévaste la forêt des Maures, dont 2000 hectares sur la commune de la Garde-Freinet. Sept ans plus tard, le site de Notre-Dame-de-Miremer a changé de visage. Deux projets ont été initiés : un chantier de valorisation du patrimoine a permis la restauration des jardins en terrasse et la plantation d’un verger de figuiers ; un projet de reboisement artistique utilise les courbes de niveaux pour créer une forme d’empreinte digitale. Il s’intitule « Lignes de vues ».

Planter des arbres pour sculpter le paysage… quelle est la genèse de cette création ?
Depuis 1992, je réfléchis à des reboisements « artistiques », biodiversifiés et monumentaux dédiés à des espaces emblématiques. Des lieux où partager une sorte de jouissance de la nature, où s’exprime fortement la responsabilité de la société humaine vis-à-vis de la biodiversité.
Après les terribles incendies de 2003, j’ai porté devant des collectivités et administrations de la région Paca des projets de reboisement « par segments horizontaux ». André Werpin, à l’époque maire de La Garde-Freinet, et président de l’association des communes forestières du Var, a compris l’idée. Il pensa tout de suite à la colline de Miremer, origine néolithique du village, pour un projet de création.

Mais votre œuvre, pour la voir, il faudrait être en avion.
C’est un geste vers le cosmos. Il en est de même dans les forêts de colonnes de pierre des églises romanes : on ne voit pas le projet d’ensemble mais lorsqu’on déambule, on ressent bien qu’il y a un plan.

Cette œuvre d’art ne sera jamais achevée...?
Cela touche au sens de l’art. L’œuvre nous interpelle sur la question de l’art dans la durée. Le choix de planter des jeunes plants obéit à ce principe. Il n’y a pas de vision définitive du résultat car il y aura des aléas, des accidents, des impondérables. En revanche, la programmation doit être la plus forte possible : un « ordre » doit surgir.

Comment l'idée a-t-elle été reçue ?
En treize ans, depuis mes premiers projets dessinés, les mentalités ont changé. Le maire m’a soutenu. Toutefois il était prudent, notamment, en raison des moyens limités de sa commune. L’appui de la Fondation de France a été déterminant ainsi que la médiation du Bureau des compétences et des désirs. Cette association qui assure le développement des commandes publiques d’art contemporain suit des projets très ambitieux. L’Institut pour la forêt méditerranéenne de Gardanne a financé la plantation.
L’intention n’était pas de s’en tenir à une optique d’ingénieur forestier ou de paysagisme d’infrastructure. Dans un lieu d’une telle intensité d’identité et de patrimoine, il fallait un projet qui fasse sens.

En quoi l’acceptation de ce projet est-elle problématique ?
Il n’est pas conforme à l’idée qu’on se fait de la forêt méditerranéenne. Pourtant de nouvelles essences ont sans cesse été introduites. Celles d’aujourd’hui sont là, principalement parce qu’elles s’implantent vite après les incendies.
Toutes sortes d’alibis justifient de ne pas consacrer à ces précieux espaces une politique de développement et de prévention par le débroussaillement par des animaux d’élevage associé à la filière bois énergie. Le pin d’Alep, par exemple, qui se répand sur des hectares de broussailles, accumule des « bombonnes d’essence » à côté d’espaces bâtis.
Le projet s’oppose à ce laisser-aller. J’ai employé des essences locales (arbousiers, merisiers, genévriers, chênes blanc, châtaigniers...) enrichies d’essences susceptibles de s’implanter convenablement, dont une vingtaine d’espèces de chêne, sur les conseils de spécialistes de l’Inra, de l’ONF.
C’est plutôt une sculpture avec la matière première que constitue la nature. Je fais le pari que le projet a déjà fait évoluer les choses.
C’est un peu cela l’art, quelque chose qui ne va pas de soi, qui suscite la réflexion, le débat, l’enrichissement des points de vue.

Vous avez fait attention aux espèces exotiques envahissantes ?
Oui, pas de mimosa, très peu d'eucalyptus...

Et maintenant ?
J’apprécie la reprise d’au moins 75 % des plants, les croissances spectaculaires de certaines essences, telles que les hêtres rouges et communs, tilleuls, frênes à fleurs, érables, même des séquoias ! Bien sûr, il y a des plants qui vivotent, d’autres qui sont morts. Mais quand je vois ceux qui ont pris 30 ou 40 cm ou plus en un an, c’est formidable !
Le projet se continue. Les ânes d’un éleveur local entretiennent le terrain, des semences de foin devraient améliorer le sol et transformer progressivement les flancs de colline en prairie sous bois. Plus tard, il faudra élaguer les arbres. Le tableau ne fait que commencer !