Communiquer sur la biodiversité

 
Interagir avec son interlocuteur pour le convaincre

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Pédagogie - Animation

Michelle Sabatier
Aten, responsable communication et documentation

 

Périodiquement se pose le problème des compétences des gestionnaires en matière de communication : y a-t-il les « spécialistes » et les autres, qui seraient dispensés de ce savoir-faire ? Mais ne pas communiquer, ou mal communiquer, n’est pas neutre : cela produit des effets…

Il n’y a pas de communication sans stratégie. Tout d’abord bien réaliser « d’où l’on parle » : ce n’est pas du tout la même chose de convaincre un public de téléspectateurs du bien-fondé de la protection de la biodiversité, quand ce message ne vient en rien contredire le déroulement de leurs activités ou de leurs projets, et de convaincre, par ailleurs, un conseil municipal de renoncer à un aménagement pour cause d’espèce en danger. Ce n’est pas la même chose de s’adresser à l’individu, en tant que tel, et de s’adresser à l’individu dans son rôle institutionnel, représentant l’État, le conseil municipal, la chambre d’agriculture, etc. On passe du relationnel au jeu de rôles. Il faut savoir décrypter ces jeux sociaux pour ne pas se laisser entraîner trop loin. Et il n’y a pas de communication sans légitimité acceptée par l’auditeur : peu importe votre légitimité institutionnelle, si votre discours n’a pas de « fond », si vous vous contentez de répéter ce que l’on vous a dit, de croire sans critiquer, de dire sans approfondir, alors votre communication sera vite perçue comme quantité négligeable.
N’avancez d’arguments que lorsqu’ils sont appuyés sur votre vécu et votre engagement : ne parlez pas au nom d’untel (fut-il une sommité) mais au nom de vos convictions et en mesurant (« principe de précaution ») jusqu’à quel point elles sont étayées1.

Multipliez les registres. La première chose est d’établir le contact. Tout se joue dans les trente premières secondes. Et pour y parvenir, il n’y a qu’un moyen : connaître assez le public auquel vous vous adressez, là, immédiatement, dans sa singularité, pour entrer en empathie avec lui. Dans cette tentative d’établir un contact, vous mesurerez l’importance de la communication non verbale. Ensuite, il faut panacher les propositions car nous ne réagissons pas tous aux mêmes stimulus en fonction des diverses facettes de notre intelligence2 :
• l’intelligence sensible, qui fait appel à l’émotion, en est une : le sentiment esthétique fait partie de ce registre ;
• l’intelligence corporelle s’exprime par des actions physiques : elle pourra passer par la randonnée ou le parcours sportif ;
• l’intelligence sensorielle répond fortement aux images, aux sons, aux odeurs, aux goûts : elle convainc d’autant plus que l’expérience est intime ;
• l’intelligence verbale a besoin du fil rouge du récit : avec un début, un déroulement, une fin ;
• l’intelligence logique fait appel aux catégories de la cause et de l’effet, les mathématiciens apprécieront.
Il y a aussi une forme d’intelligence qui emploie le registre de l’humour, du ridicule, de l’insolite ou de l’absurde : elle consiste à se regarder agir avec une distance amusée. Attention aux effets pervers dans des contextes culturels inexplorés !
Dans tout public, il y a forcément plusieurs types d’intelligences et il faut donc utiliser plusieurs registres.

Entrer en relation. Interagir avec son interlocuteur est bien plus convaincant que de lui adresser un dépliant trois volets ! Qu’on lui parle directement, qu’on l’invite à réagir au cours d’un exposé, qu’on organise l’expression autour de tables rondes ou d’ateliers ! Cette démarche demande de l’expérience et/ou de la formation :
• s’entendre au préalable sur le rôle de chacun et l’interdépendance qui en résulte ;
• clarifier le sens des mots pour les uns ou pour les autres ;
• établir des règles acceptées par tous ;
• ne pas incriminer la personne qui soutient une position antagoniste ;
• distinguer clairement ce qui peut être changé de ce qui ne le peut pas ;
• avoir assez de latitude pour « bouger » dans la position défendue, etc.3
Quoi qu’il en soit, difficile de ne pas faire d’erreurs et pour ne parler que de la plus fréquente : ne pas savoir s’arrêter à temps ! Pour communiquer, il faut doser son approche ! En laisser pour les autres, et pour d’autres jours. Communiquer n’est pas une science, c’est un art qui se perfectionne à condition de se remettre en cause assez souvent.

1. Pensez aussi
à ne pas « gober » tous les arguments qui sont dans l’air : que pensez-vous aujourd’hui des médecins qui vantaient l’usage du tabac voici 50 ans ? Qu’en est-il des discours sur la « chaîne » écologique à laquelle aucun maillon ne devait manquer quand on sait aujourd’hui que la biodiversité est un concept dynamique et que ses perturbations font partie du processus d’évolution ?
2. Gardner H., Frames of mind, Basic Books, New York, 1983.
3. D’après Communiquer et négocier pour la conservation de la Nature, Tom Kavocs, ECNC, Aten, 2002.