Il y a deux ans, une fuite d’hydrocarbures en Crau
Le 7 août 2009, au cœur de la Réserve naturelle nationale des coussouls de Crau (Bouches-du-Rhône), une fuite d’hydrocarbures libérait 4 700 m3 de pétrole et polluait plus de 74 000 tonnes de terres. Quelle a été la réaction à court terme ?
Les terres ont été excavées, créant un espace dénudé jusqu’à la roche sur une surface de plus de cinq hectares et à une profondeur moyenne de 40 cm. Au final, la quantité résiduelle d’hydrocarbures étant trop importante, même après traitement biologique, ces terres ont été recyclées en remblais (80 % du total) sur le site même de la décharge de Bellegarde dans le département du Gard, ou orientées vers un enfouissement de classe 1 sur ce même site (20 % du total excavé).
Au premier trimestre 2011, le chantier entrait dans sa phase de réhabilitation. Quelle solution avez-vous retenue ?
La solution a consisté à colmater le secteur dénudé en utilisant des terres identiques dans leur composition à celles retirées. Ceci pour réhabiliter au mieux (dans l’état des connaissances scientifiques actuelles) une partie de la végétation steppique, unique au monde, des « coussouls de Crau » et de la rendre au pâturage ovin traditionnel. La technique demandait de maîtriser le transfert du sol et de la vie qu’il contient (graines, bactéries, champignons, faune du sol…) en flux tendus pour favoriser la reprise de la végétation. Cette intervention nécessitait également de remettre en place le sol tel qu’organisé initialement à partir d’une terre végétale de coussouls, hélas elle-même vouée à une destruction prochaine suite à l’extension autorisée d’une carrière…
Qui a retenu cette solution ?
Les différents protagonistes du projet se sont vus un an durant. Les rencontres réunissaient, pour la partie biodiversité, la société SPSE exploitant l’oléoduc et un bureau d’études mandaté, Naturalia environnement ; le conseil général, propriétaire du site ; le CEEP-Écomusée de Crau et la chambre d’agriculture 13, co-gestionnaires de la réserve, les scientifiques de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie et les services de l’État (Dreal Paca, DDTM 13, sous-préfecture d’Arles).
Diriez-vous qu’il s’agit d’une opération d’ingénierie écologique ?
Il s’agit plutôt d’une opération d’ingénierie civile de sauvegarde, par transfert d’un sol avec un accompagnement écologique.
Cet accident grave, survenu au cœur d’un écosystème irremplaçable, démontre, une fois de plus, les limites de nos connaissances en ingénierie écologique pour pouvoir réparer ou atténuer les impacts de ce chantier sans détruire ailleurs.
Les connaissances scientifiques pour accompagner ce projet sont-elles suffisantes ?
Non, mais afin de faire progresser les connaissances et techniques en ingénierie écologique, des expérimentations scientifiques vont accompagner ce projet. Les protocoles expérimentaux qui vont être mis en œuvre permettront notamment de tester des transferts de petites plaques de végétation et des transfert de foins, qui devraient agir à la manière de greffes, pour restaurer le milieu sans pour autant hypothéquer la ressource dans les lieux de prélèvement. Ces recherches, ainsi que celles sur une stimulation de la dégradation naturelle des hydrocarbures dans la nappe, devraient notamment être cofinancées par l’entreprise SPSE.
La restauration est-elle finalisée ?
Pas encore. Outre les suivis de la résilience de la biodiversité sur le site (végétation, coléoptères, orthoptères, avifaune, herpétofaune, etc.) et du devenir des hydrocarbures résiduels dans la nappe phréatique, une dernière phase sera peut-être la plus délicate à mettre en œuvre : il s’agira de faire compenser par SPSE la destruction définitive de plus de cinq hectares de coussouls, le dérangement occasionné par le chantier (plusieurs milliers de rotations de camions) pendant plus de vingt mois et le fonctionnement d’une centrale de dépollution des eaux, prévu pour une période d’au moins trente années !
En savoir plus : Pr. Thierry Dutoit • Université d’Avignon UMR CNRS-IRD IMEP •
thierry.dutoit@univ-avignon.fr