>>> Contamination depuis la faune sauvage

Entre la faune sauvage, domestique et l’Homme, les maladies se propagent

 

Espaces naturels n°9 - janvier 2005

Études - Recherches

Dominique Gauthier
Laboratoire vétérinaire et d’hygiène alimentaire - Gap
Paul Revelli
Vétérinaire
 

L’abondance actuelle des ongulés sauvages et d’autres espèces autrefois menacées apporte, avec elle, son lot de problèmes. Les maladies circulent plus facilement entre la faune domestique et la faune sauvage. La santé des populations humaines est également en cause. Surveillance et précautions sont à déployer…

Jusqu’ici, les espèces sauvages étaient considérées comme victimes de maladies propagées par les animaux domestiques. Cela pouvait conduire (et contribue encore) à mettre en péril certaines espèces : la maladie de Carré et la parvovirose entretenues par le chien frappent durement les lycaons, les loups d’Abyssinie ; la paratuberculose bovine et le piétin du mouton ont menacé le bouquetin des Alpes...
Or, voilà que les choses s’inversent : la faune sauvage commence à jouer un rôle épidémiologique dans la propagation, l’entretien et l’apparition des maladies. Cela s’explique car il existe un lien direct entre les caractéristiques d’une population et le fait qu’elle puisse devenir un réservoir de pathologie. Il ne suffit pas, en effet, qu’une espèce animale soit sensible à une maladie pour que se crée un foyer pérenne. Il faut aussi que certaines conditions (effectif total, densité, taux de contact social…) soient présentes dans ces populations pour entretenir la survie de l’agent pathogène et assurer sa circulation. Or, du fait des efforts de protection dont elles font l’objet, de nombreuses espèces animales répondent aujourd’hui à ces critères. D’autres y répondront demain. C’est le cas du sanglier pour la brucellose, tuberculose, peste porcine…, des cervidés pour la tuberculose et la maladie de Lyme, des anatidés pour la « puce du canard » et le West-Nile…
Contamination
du cheptel domestique
L’émergence ou la découverte récente de ces foyers sauvages n’est pas sans soulever de graves problèmes de recontaminations des cheptels domestiques.
En forêt de Brotonne, la parfaite adéquation d’identité entre les mycobactéries tuberculeuses, isolées sur les sangliers et cerfs, et les souches isolées sur les troupeaux domestiques, démontre que la réversibilité des contaminations est maintenant acquise.
Le rôle exclusif du sanglier dans la propagation de la brucellose porcine en France est indiscuté. Les exemples ne manquent pas.
Ce risque d’intertransmission est augmenté par le développement de pratiques d’élevages extensifs, par ailleurs souvent favorables à une bonne gestion environnementale. En effet, ces pratiques mettent en contact, de façon intime et prolongée, les populations domestiques et sauvages.
De façon concomitante, le statut sanitaire des élevages français s’est fortement amélioré. On peut noter la quasi-disparition de toutes les maladies contagieuses
(rage, pestes bovine, porcine, aviaire, brucellose, tuberculose, fièvre aphteuse…).
Un retour de ces maladies aurait des conséquences sociales et économiques catastrophiques.
Ne pas recommencer
les mêmes erreurs
Il n’est pas possible cependant de prêcher pour le retour au statut antérieur : ni les élevages industriels sans interaction avec leur territoire d’accueil, ni le désert faunistique ne sont souhaitables !
Nous n’avons d’autres solutions que d’étudier et de trouver des modes de gestion innovants pour répondre à ces nouveaux défis. D’autant que l’histoire de la gestion de la faune sauvage est tristement émaillée de massacres inutiles engendrés par la pression sanitaire et l’obligation interventionniste qui en découle : des milliers de renards ont été empoisonnés ou gazés en vain pour éradiquer la rage en France, des milliers de chamois ont été tirés pour lutter contre la kérato-conjonctivite en Suisse et en France, des dizaines de milliers de buffles et gnous ont été détruits au motif de la peste bovine en Afrique…
Dans un territoire, où, comme le souhaitent les protecteurs de l’environnement, espèces sauvages et domestiques coexistent, jouant à plein leur rôle d’entretien de l’espace mais aussi épidémiologique, nous devons mettre en place des outils de gestion de ces interactions. Parmi les voies de progrès, on peut envisager :
- de limiter les sources initiales de contaminations de la faune sauvage en surveillant les statuts sanitaires des cheptels domestiques en contact ou en privilégiant des modes de conduites d’élevage qui limitent les contacts interspécifiques (cahier des charges agri-environnementaux ; plans de gestion pastorale) ;
- de faire subir un contrôle sanitaire strict aux individus faisant l’objet d’une réintroduction ; les termes et le mode de réalisation de ce contrôle devant être définis par des vétérinaires spécialisés. En effet, une population sauvage risque d’être définitivement porteuse de ses contaminants initiaux.
Si malgré les précautions préalables, une crise sanitaire se révélait, dans l’une ou l’autre de ces populations, une action coordonnée des différents intervenants (services vétérinaires, gestionnaires de l’espace protégé, agriculteurs) devrait être établie le plus rapidement possible. La structuration de cette cellule de crise et son financement devront d’ailleurs avoir été établis au préalable.
De même, il serait raisonnable de soumettre l’existence de ces risques sanitaires à une expertise spécialisée et d’établir une liste des personnes ressources et de leurs compétences respectives.
Enfin, la capacité de vigilance des agents de terrain des espaces naturels pourrait utilement être mise à contribution
dans les réseaux de santé publique. Notamment en ce qui concerne les fléaux de l’élevage risquant d’être propagés à la faune sauvage (tuberculose, fièvre aphteuse, et, en pleine actualité, la fièvre catarrhale ovine).
Des risques pour l’Homme
Par ses contacts avec les humains, la faune sauvage est aussi à l’origine des fléaux « médiévaux » du 21e siècle. Les virus HIV et Ebola se sont récemment propagés à partir de ces interactions. Si la faune européenne n’est pas porteuse de telles menaces, ces exemples montrent bien que le risque de transmission et de diffusion à grande échelle n’est pas illusoire. Plus proches de nous, la trichinellose, l’échinococcose, la tularémie… font, chaque année, quelques victimes humaines. Le gestionnaire d’un espace protégé est concerné à plus d’un titre par le risque zoonotique :
- L’espace protégé accueille un large public, qui pratique souvent des activités de pleine nature, lesquelles augmentent les risques de contamination (spéléo et chauve-souris, cueillettes et échinococcose…). Une information large et détaillée doit être faite. Le gestionnaire doit intégrer le risque zoonotique dans son travail d’information du public, au même titre que toutes les autres connaissances du milieu naturel qu’il diffuse. La nature n’est pas un Eden sanitaire.
- Le gestionnaire est également responsable des risques professionnels encourus par ses agents de terrain. Ils sont nombreux, graves et largement sous-estimés. Une réflexion sur la définition de ces risques et des moyens à mettre en œuvre pour les limiter doit être menée. Des protocoles de surveillance sanitaire doivent être élaborés, en concertation avec les autorités médicales (sérologies maladie de Lyme, leptospirose, échinococcose…)
- L’espace protégé est parfois ouvert à la chasse. La faune sauvage, devenue gibier, est potentiellement porteuse de risques alimentaires pour le consommateur. Ici encore, la responsabilité du gestionnaire est engagée, notamment en raison du flou qui, souvent, entoure la notion de propriété du gibier chassé sur un espace protégé. On ne peut donc faire l’économie d’une réflexion poussée sur ce sujet et s’interroger : quid des ventes de venaison après les tirs administratifs ? de la qualité primitive des animaux, des conditions de leur acheminement et de leur stockage ?…
Il ne s’agit, en aucun cas ici, de présenter une faune sauvage comme porteuse de tous les malheurs du monde, mais de rappeler -simplement- qu’au cours des quarante années qui viennent de s’écouler, les conditions démographiques qui régnaient dans la faune sauvage européenne ont largement changé. De ce fait, le rôle de protection ou de conservation, dévolu aux espaces naturels, doit évoluer vers celui de gestionnaire d’une faune sauvage abondante. Ce rôle comporte un volet sanitaire qui ne peut être ignoré. Certains aspects impliquent directement la responsabilité des gestionnaires (risques zoonotiques professionnels), d’autres doivent faire l’objet de réflexions et d’actions collégiales de tous les acteurs concernés par ce point d’interface de la santé humaine, de la santé des animaux domestiques, de la gestion de la faune.
Ne pas lancer cette démarche dans les années à venir pourrait avoir des conséquences néfastes sur la santé humaine, l’équilibre économique de l’élevage ou la dynamique des populations d’animaux sauvages.