Sport en montagne

Anticiper pour mieux partager

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Aménagement - Gouvernance

Arnaud Callec, service patrimoine naturel, Conseil départemental de l'Isère, arnaud.callec@isere.fr

Réunir organisateurs de manifestations sportives et acteurs du territoire pour anticiper d’éventuels conflits, tel est l’objectif de « Vercors en partage ». Une initiative réussie pour un partage serein du territoire, qui a essaimé sur d’autres massifs en Isère.

Le schéma départemental des sports de nature incite et orchestre de nouvelles instances de dialogue. © David Boudin

Le schéma départemental des sports de nature incite et orchestre de nouvelles instances de dialogue. © David Boudin

Dans le Vercors, les manifestations se multiplient et se développent. Le fameux rassemblement « Festival Vélovert » réunit ainsi, chaque année, plus de cinquante-mille visiteurs, l’Ultratrail du Vercors plus de mille-trois-cents coureurs, etc. Face à ces événements, enjeux économiques de plus en plus importants, les élus sont parfois démunis pour donner des autorisations et prendre en compte l’environnement. Ils doivent prévenir et gérer les conflits potentiels entre les utilisateurs et les usagers de leur territoire. De leur côté, les organisateurs sont confrontés à des procédures complexes pour obtenir des autorisations.

En 2014, Chantal Carlioz, maire de Villard-de-Lans et conseillère départementale, s’est trouvée confrontée à un dilemme… Un organisateur souhaitait faire passer le tracé d’une course en dehors des sentiers, sur des prairies et boisements de sa commune. Mais l’itinéraire se situant sur une zone de nidification du Tétras lyre, l’association communale de chasse s’opposait à cette demande. L’élue n'a pas donné l'autorisation pour ce tracé et s’est alors tournée vers le département de l’Isère, en quête d’une solution pour les futures manifestations.

UNE DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE : CONNAÎTRE ET PARTAGER LE TERRITOIRE

En 2012, le département de l’Isère a créé des postes de gestionnaires des espaces naturels et ruraux au sein des services aménagement. Ces gestionnaires sont chargés d’assurer la mise oeuvre de la politique Espaces naturels sensibles (gestion des sites départementaux, accompagnement des sites locaux mais aussi des politiques liées à l’eau, l’agriculture et la forêt et des Espaces, sites et itinéraires [ESI] sportifs. Un atlas intercommunal a alors été réalisé offrant un diagnostic territorial élaboré à partir des données disponibles et de l’expertise du Parc naturel régional du Vercors. Il a permis d’évaluer en particulier le niveau de connaissance sur la faune et la flore et de croiser les enjeux des différentes politiques départementales (eau, forêt, agriculture, sport, …). Mais si cet outil était nécessaire, il n'était pas suffisant pour apporter une réponse adaptée à la demande de l’élue.

Le département a alors imaginé « Vercors en partage », en créant deux comités : un comité de pilotage composé des élus communaux, coordonné par les services des Sports du département et du Parc naturel régional du Vercors et un comité technique regroupant organisateurs d’événements sportifs de plus de cent participants et acteurs locaux (cynégétiques, agricoles et forestiers). Chaque comité se réunit une fois par an, le comité technique à l’automne et le comité de pilotage en début d’année suivante, pour examiner les demandes. Le comité technique étudie les demandes de circuit transmises par les organisateurs et fait des propositions au comité de pilotage. Chaque maire donne ensuite son avis qui sera transmis au préfet pour autoriser ou non la manifestation.

« Cette étape permet aux acteurs de mieux se connaître et comprendre les attentes de chacun, en particulier des gestionnaires des espaces naturels protégés (réserve naturelle nationale, Natura 2000, espaces naturels sensibles, forestiers, alpagistes, etc.) » témoigne Jean-Pierre Simorre, de l’Ultratrail du Vercors.

UNE INFORMATION DÉCLOISONNÉE ET EN AMONT

Le comité technique permet d’identifier les problèmes potentiels, de rechercher une solution et de faire modifier les tracés si besoin, en général six à douze mois avant la date de la manifestation. Il a aussi pour vertu de réfléchir ensemble aux modalités de sensibilisation des participants et accompagnants au respect de l’environnement. Les organisateurs sont de plus en plus attentifs à ne pas laisser de trace de leur passage. Ils sont également intéressés à disposer d’informations sur la faune et la flore.

Cette démarche a été facilitée car depuis plusieurs années le PNR et le département travaillent avec les fédérations sportives, en particulier de randonnées, de vol libre et d’escalade pour créer des espaces de pratique pérennes dans le cadre du Plan départemental des ESI (lire Espaces naturels n° 37).

D’une démarche de concertation et de prise en compte de la biodiversité menée sur des sites spécifiques, on est arrivé à une approche territoriale, qui concerne aujourd’hui des circuits. Celle-ci est plus complexe, du fait de la diversité des activités professionnelles et de la multiplication des activités de loisirs. Un des problèmes classiques est par exemple la traversée d’un alpage. Informé en amont, le berger peut s’organiser pour déplacer son troupeau. Il reste plus difficile d’anticiper pour les travaux forestiers, car différents prestataires sont concernés.

Un autre intérêt de la démarche est de permettre aux élus d’avoir une vision globale des tracés, au-delà du territoire de leur commune. « Nous comptons développer cette expérience positive sur d’autres massifs en Chartreuse et en Belledonne » vient d’annoncer Martine Kohly, vice-présidente chargée du sport au département.

POUR UNE COHABITATION SEREINE ENTRE SPORT ET NATURE

Chaque année, de nouvelles activités, loisirs et événements se créent. Comment permettre de mettre à disposition les informations disponibles le plus en amont possible ? Depuis plusieurs années, le département de l'Isère coordonne des concertations avec la Fédération française de vol libre et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) afin d'informer les parapentistes des périodes et des secteurs sensibles à éviter pour respecter la reproduction des rapaces.

Pour l’escalade, c’est un livret d’identification d’espèces patrimoniales sur les falaises de Presles qui a été réalisé par Vercors territoire du nord-ouest (VTNO) afin de sensibiliser mais aussi d’inciter les pratiquants à faire part de leurs observations et à s’impliquer dans la démarche de préservation.

Le projet « Biodiv’sports de montagne », soutenu par les PNR et les collectivités locales, et coordonné par la LPO, vise à créer au cours du premier trimestre 2018 une plateforme d’information collaborative sur laquelle les gestionnaires d'espaces naturels pourront indiquer les zones de sensibilité de la faune. Ces zones seront identifiées à l’issue d’une concertation entre sportifs, fédérations, clubs et naturalistes, experts ou gestionnaires d’espaces afin de décider ensemble des espaces à préserver en fonction de l’itinéraire des périodes de sensibilité (nidification, etc.). Les webmestres de sites spécialisés dans la recherche d’itinéraire liés à des usages de la montagne pourront utiliser ces données.

Le département s’intéresse tout particulièrement aux activités sportives en hiver (raquettes, ski de randonnée, etc.) et vient de constituer une mallette pédagogique sur le dérangement de la faune en hiver intitulée « Hiver sauvage, montagne en partage ». Fabien Mulyk, vice-président délégué à l’Environnement, souligne l’importance de donner des conseils pour limiter les risques de dérangement. Ce nouvel outil pédagogique permet de préparer sa sortie en tenant compte des besoins des
chamois, bouquetins, Tétras lyre… et de la météo. Comme on prépare une sortie en fonction des risques d’avalanche, il est possible de tenir compte de la faune sauvage (consultable sur www.natureisere.fr).

Toutes ces démarches, complémentaires, ne peuvent fonctionner que si les acteurs des milieux naturels dialoguent et échangent régulièrement. Aujourd’hui, le schéma départemental des sports de nature incite et orchestre de nouvelles instances de dialogue comme « Vercors en partage » pour s’assurer d’une cohabitation paisible et durable des activités et sports de nature.