Les espaces naturels sensibles, moteur des politiques sociales

 
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Arnaud Callec
Conseil général de l’Isère

 

Au cœur des compétences des conseils généraux : les politiques en direction des publics fragilisés et défavorisés et, pour ceux qui en ont fait le choix, la protection des espaces naturels sensibles. Social et environnement : le grand écart ? Non. Les espaces naturels sont de plus en plus souvent liés aux politiques sociales.

Nous devons reconnecter nos concitoyens avec la nature, souligne Anne-Caroline Prévot-Juillard, chercheure au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle, devant un public venu réfléchir à « L’humain au cœur de la nature ».
Elle ne sera pas la seule à promouvoir cette idée. D’autres participants, assistant eux aussi, en octobre 2012, à cette conférence nationale Espaces naturels sensibles, pensent de même. Tous montrent et démontrent comment, au sein des départements, les politiques d’accès à ces espaces naturels protégés ne sont pas pensées uniquement à l’attention des naturalistes. Les scolaires, les personnes handicapées ou d’autres publics encore sont visés.
Des élus souhaitent développer la dimension sociale des politiques espaces naturels sensibles. Par ce biais, ils veulent induire une plus forte solidarité et cohésion sociale. Olivier Douard, sociologue, insiste d’ailleurs sur la nécessité de s’adresser à de nouveaux publics, au-delà des convaincus. Les participants au colloque agréent.

Diversifier les publics. Des conseils généraux comme celui de l’Isère proposent des animations ouvertes à tous et recrutent, durant l’été, des guides nature qui vont, en maraudage, à la rencontre du public. Ces rendez-vous nature gratuits attirent principalement des familles.
Pour élargir les publics, d’autres départements choisissent de renouveler ou diversifier les approches de la nature en adoptant notamment des démarches culturelles et artistiques comme le propose durant l’été le conseil général de Gironde sur les ENS du domaine de Certes et l’île Nouvelle.
D’autres institutions départementales préfèrent s’orienter vers des solutions techniques et travaillent sur l’accès aux sites. En Ille-et-Vilaine, un collectif Handicap rassemble plus de quarante associations. « Une démarche globale du handicap est en place dans notre département » explique René Lefaix du collectif Handicap 35. « Depuis des années, des solutions sont élaborées pour favoriser l’accès aux personnes à mobilité réduite. Ces aménagements sont de plus en plus conçus en amont, avec nos collectifs, afin de permettre l’accès à la nature aux quatre handicaps : moteur, mental, auditif, visuel. Le sentier du bois de Tremelin, initiative du syndicat de la vallée du Blayet et du conseil général du Morbihan par exemple, vient d’être labellisé Tourisme et handicap. Une de ses originalités est d’avoir réalisé ces aménagements sur un espace n’ayant pas d’enjeu écologique majeur. Il n’est pas aisé, en effet, d’atteindre des objectifs d’accueil du public en préservant l’espace naturel sensible. Et, notamment, en limitant l’artificialisation du milieu. »
Et les personnes âgées ? Des espaces de repos sont aménagés tous les 200 m sur le sentier du domaine de Careil (35). Ceux-là permettent également l’accueil des personnes en fauteuil roulant et ou celui de familles avec poussette. « Penser à tout le monde », c’est un des souhaits de Mme Peniguel, vice-présidente du handisport de Rennes. Il est nécessaire de favoriser la prise en compte de tous les types de handicap.

Solidarité environnementale. « Faire du patrimoine naturel un vecteur d’intégration sociale » est un des objectifs du nouveau schéma départemental de l’Essonne. « Parmi les priorités : le fait que l’accès aux espaces naturels sensibles soit gratuit ; celui, également, qu’un réseau de sites de proximité soit progressivement mis en place. Il devrait permettre à chaque citoyen de se rendre en nature près de chez soi. Ces objectifs sont partagés par la majeure partie des espaces naturels protégés » explique David Pecquet, chef du service ENS au conseil général. Il poursuit : « Une des nouveautés réside dans la mise en place d’un critère de socio-conditionnalité. Autrement dit, nous intégrons désormais des clauses sociales dans les appels d’offres afférents aux travaux. »
C’est également le cas en Isère où les chantiers d’insertion sont sollicités pour assurer l’entretien des espaces naturels sensibles. « Un programme départemental pour l’emploi par l’environnement existe depuis dix ans » explique Valérie Trinh, chef de service de l’insertion. Elle revient de cette conférence nationale avec de nouvelles idées et la volonté de mieux valoriser les politiques départementales d’insertion et celles liées à l’environnement comme en Ille-et-Vilaine, où les agents en insertion participent à la gestion en régie des ENS.

Publics fragilisés et défavorisés. De plus en plus de conseils généraux ont cessé de cloisonner leurs services qui travaillent aujourd’hui en transversalité et établissent des passerelles entre les diverses missions. C’est le cas par exemple entre les politiques touristiques (schéma départemental du tourisme) et celles liées aux sports de nature (plan départemental espaces sites et itinéraires).
Il y a encore un an, aucune raison n’aurait permis d’imaginer que se croisent les politiques sociales et environnementales du conseil général de l’Isère. Mais, depuis quelques mois, par le biais d’une nouvelle organisation, les missions ont été territorialisées. L’habitant a dorénavant pour interlocuteur une direction unique. Celle-ci traite du social (autonomie, insertion, aide sociale à l’enfance), de l’éducation, de l’aménagement (routes, urbanisme, environnement, culture). Des idées nouvelles parviennent ainsi à éclore. Comme celle de Nicole Lamarca et son équipe du service Aide sociale à l’enfance, qui ont fait part au service Aménagement de leur souhait de mener une action dans le domaine de l’environnement avec des parents et leurs enfants placés en famille d’accueil. Les services ont alors élaboré et recherché des solutions. Dans le cadre d’un projet transversal intitulé « La nature ENSemble », ils proposent à ces familles, d’avril à novembre, des sorties au sein du réseau Espace naturel sensible. La démarche permet de retrouver ces publics dans un contexte de découverte et d’émerveillement. Elle autorise à prendre du recul et à établir des relations plus apaisées entre travailleurs sociaux et
parents mais aussi entre parents et enfants. Ces rendez-vous visent également la sensibilisation à l’environnement. Et, effectivement, les agents ont pu constater que les parents ont évolué au cours des six sorties organisées d’avril à novembre. Raison de plus pour insister sur l’importance du médiateur et sur ses qualités professionnelles. Sur lui repose la réussite de la démarche. Lionel Lardic, animateur à la Frapna, partage cette opinion. Il pointe l’importance de savoir créer la curiosité, de partager ses connaissances naturalistes de façon ludique et, surtout, d’adapter son message en fonction des participants.

À vos lunettes. Mais le défi est loin d’être gagné. « Nous sommes tous handicapés dans une nature que nous avons fini par si mal connaître », insiste Alain Canard, universitaire. « Cette nature fait encore peur, poursuit-il. Elle est ressentie comme dangereuse d’autant qu’elle est de plus en plus méconnue par les urbains que nous sommes devenus. Il est primordial de mettre en avant le plaisir de s’émerveiller. Changeons nos lunettes pour de nouveaux regards ! » •