Vous avez dit « sauvage » ?

 

Espaces naturels n°55 - juillet 2016

Des mots pour le dire

Par André Micoud,
sociologue, membre du comité d'orientation de l'Aten

Le mot « sauvage » qui provient du latin sylva, racine du qualificatif sylvestre, a servi pendant longtemps à désigner tout ce qui, à venir de la forêt, représentait un danger pour les hommes et leurs cultures. Était sauvage ce qui, rétif
à toute domestication ou maîtrise, représentait un péril pour les affaires humaines. Ainsi étaient les fauves, les bêtes sauvages, ours, loups, sangliers... qui venaient sans prévenir décimer les troupeaux, fouailler les terres ou dévorer les petits enfants. Étaient aussi sauvages les hommes des bois et autres charbonniers toujours suspects d'avoir commerce avec les esprits mauvais. Enfin, dans l'opposition juridique consacrée par le Code rural, les animaux sauvages se distinguaient avant tout des animaux domestiques qui, littéralement parlant, faisaient partie de la maisonnée (domus).

Dans nos sociétés urbaines, ce qualificatif de sauvage a d'ailleurs toujours ce même sens pour parler des pratiques transgressant les bonnes moeurs, depuis les pauvres enfants sauvages incapables d'accéder à l'humanité, jusqu'aux inciviles décharges sauvages, en passant par les débordements inadmissibles qu'un ministre de l'Intérieur imputaient aux « sauvageons » des banlieues.

S'agissant toutefois des choses de la nature, l'affaire est bien différente puisque ce vocable qui hier pouvait susciter la crainte, la peur ou l'effroi appelle au contraire aujourd'hui, plus souvent, admiration, protection et respect. Le sauvage, dans un espace désormais anthropisé dans toute la biosphère, représente ce qui, de la nature, continue à exister en dépit de la dite anthropisation. Le sauvage est un reste qui n'est plus un risque mais une chance. Une proposition de loi des années 1990 a même pu souhaiter qu'il ne soit plus question d'animaux sauvages dans le Code rural, mais d'animaux « évoluant à l'état de liberté naturelle ».

Par ce glissement sémantique remarquable, le sauvage qui effrayait nos ancêtres des campagnes, ou que l'on pouvait aller regarder sans danger derrière les grilles des jardins zoologiques, est devenu ce qui fascine les naturalistes de la ville pour lesquels il représente l'essence d'une vraie nature, ou d'une biodiversité complète. À preuve les emblèmes des associations de protection de la nature qui comportent presque tous l'image d'un petit animal sauvage.