Europe

Rewilding avec les grands herbivores

 

Espaces naturels n°55 - juillet 2016

Le Dossier

Marc Michelot, Arthen,
Vincent Vignon, OGE

Des grandes réserves d’Europe du Nord à certains parcs nationaux emblématiques, le rewilding réhabilitant la grande faune est une option qui commence à émerger. Intérêt et limites du système.

Bisons d’Europe dans la réserve des Monts d’Azur (06).

Bisons d’Europe dans la réserve des Monts d’Azur (06). © E. Schutz

Le concept de rewilding (voir définition p.26) est né de la volonté de certains gestionnaires d’espaces naturels, notamment aux Pays-Bas dans les années 1980, d’initier le « pâturage naturel » sur quelques réserves avec les deux groupe d'espèces référentes de grands herbivores (bovins et chevaux). Dans ce cadre, différentes races archaïques (Highland cattle, Galloway…) ou substituts des espèces disparues (aurochs reconstitué, tarpan) sont utilisées dans des contextes de  « dédomestication ». Dans certains cas, le Bison d’Europe et les cervidés complètent cette guilde associant grazers et browsers1.

Néanmoins, ces expériences de pâturage naturel ne peuvent être présentées comme un véritable rewilding dans la mesure où la chaîne trophique reste incomplète de par l’absence des grands prédateurs et des nécrophages. Compte tenu d’un contexte local inadapté, certaines ONG hollandaises ont donc exporté le concept dans quelques pays où la situation économique induit encore une forte déprise agricole (Roumanie, Bulgarie, etc.) et où les grands prédateurs sont naturellement présents. La principale d’entre elles, Rewilding Europe, mène actuellement plusieurs programmes de ce type sur des territoires ne bénéficiant pas forcément d’une protection légale. Pour autant, la qualité de ces programmes reste très inégale et largement dépendante de la pertinence scientifique des partenaires locaux.

DES PARCS NATIONAUX EN POINTE

Une autre approche pour l’expression du sauvage ou de la libre évolution en Europe existe à travers l’action développée par certains parcs nationaux. Si cette approche concerne principalement les biotopes (tourbières, forêts…) laissés en libre évolution, certains parcs sont plus orientés sur l'accueil de la grande faune avec des densités proches du naturel et donc généralement impactantes pour les activités humaines traditionnelles. Dans ce cas, l’écotourisme centré sur l’observation de ces espèces constitue une alternative intéressante pour ces espaces peu ou pas exploités.

Bien que les régions à faible densité de population, telle la Scandinavie, apparaissent favorisées, l’Europe méridionale, bien plus peuplée, est également concernée. C’est le cas de l’Espagne avec certains espaces protégés de la cordillère cantabrique comme le Parc naturel de Somiedo, avec une activité pastorale compatible et sans gros enjeux forestiers. Si ces territoires sont bien connus pour abriter de bonnes populations d’ours, de loups et de vautours, ils le sont moins pour les densités d’ongulés sauvages. Le Cerf élaphe en particulier contribue au maintien d’une ouverture partielle de cet écosystème hétérogène (vieilles forêts, landes atlantiques à bruyères, prairies) à la biodiversité remarquable2  grâce à la complémentarité de son action avec celle des bovins et des équins rustiques présents en liberté toute l’année (pour partie). Ils remplacent ainsi les grands herbivores ancestraux disparus.

En Italie, si l’Ours marsicain et le Loup sont considérés comme les espèces phares du Parc national des Abruzzes, les ongulés sauvages participent aussi largement aux équilibres naturels et à l’animation écotouristique du parc avec en particulier la superbe sous-espèce endémique d’Isard3 et le Cerf élaphe dont les rassemblements sur les prairies alpines au moment du brame sont particulièrement impressionnants.

L’Europe orientale présente également des références intéressantes, notamment au sud-est de la Pologne dans le massif des Carpates. Sur près de 30 000 hectares, le Parc national des Bieszczady est géré principalement en réserve intégrale tout en faisant l’objet, là aussi, d’une valorisation écotouristique importante. Il abrite l'une des rares populations véritablement sauvages de Bisons d’Europe qui prospère d’ailleurs largement au-delà de ses limites. Castors, cerfs et plus rarement élans, complètent la guilde des grands herbivores alors que les trois grands prédateurs (loup, ours, lynx) sont également présents.

Dans un contexte différent, on peut également mentionner l’exemple suisse du Parc national des Grisons qui, sur ses 17 000 ha majoritairement boisés en résineux, applique une politique de non intervention totale permettant aux cerfs et chamois de conserver les prairies forestières en lieu et place du bétail domestique, exclu du parc.

ET EN FRANCE ?
L’approche « pâturage naturel » et rewilding est-elle envisageable en France où la gestion de la biodiversité et des espaces protégés est essentiellement axée sur une intervention mécanisée, un pâturage domestique dirigé ou, pour ce qui est des « grands espaces » de montagne, sur un pastoralisme majoritairement ovin ? Si le pâturage naturel a été tenté sur quelques réserves4, il reste aujourd’hui confidentiel. Quant au rewilding, le contexte culturel et socio-économique n’apparaît pas encore favorable à cette option dans l’état actuel des choses. Sa mise en place à titre expérimental sur quelques « territoires d’exception » pourrait néanmoins s’avérer intéressante5

Sur le plan scientifique, elle permettrait de bénéficier d’un référentiel inédit pour les processus écosystémiques non dirigés. Sur le plan économique, elle pourrait initier un nouveau type de valorisation pour certains territoires enclavés grâce à l’écotourisme d’observation dans un contexte où l’élevage traditionnel connaît les difficultés dues en particulier à une filière économique en régression (compliquant la cohabitation avec les grands prédateurs) et reste fortement dépendant des subventions publiques. En attendant, certaines réserves clôturées peuvent constituer, sous certaines conditions, une amorce intéressante à l’instar de celle des Monts d’Azur dans les Alpes-maritimes qui accueillent cerfs, bisons et chevaux de Przewalski.

 

(1) « Brouteurs d’herbe » et « brouteurs de feuilles ».
(2) Abondance de la Vipère de Séoane et grande diversité des orthoptères et des lépidoptères tels que l’endémique Moiré asturien.
(3) Rupicapra pyrenaica ornata la bien nommée !
(4) En particulier à l’initiative de Thierry Lecomte sur le marais Vernier dans les années 1980.
(5) Le groupe de travail HOPE (Herbe Ongulés Pâturage Ecosystème), récemment mis en place, réfléchit actuellement à cette orientation.