Avant-propos

 

Espaces naturels n°55 - juillet 2016

Le Dossier
Marmites de la Semine dans le PNR du Haut-Jura © François Letourmy ERN

Si l’objectif de libre déroulement des processus naturels est commun, la base philosophique diverge. Marmites de la Semine dans le PNR du Haut-Jura © François Letourmy ERN

« Le sauvage sauvera-t-il le monde ? », comme le suggérait Henry Thoreau à la fin du XIXe siècle, alors en plein âge d'or de l'idée de wilderness ? Tandis que l'influence des humains sur les dynamiques naturelles n'a jamais été aussi importante, au point de donner le nom d'anthropocène à la période actuelle de l'histoire de la terre, la question du sauvage semble paradoxalement ressurgir en ce début de XXIe siècle, à la fois comme réalité dans certains espaces (dynamiques spontanées de la végétation et fermeture des milieux), et pour certaines espèces (retours des grands prédateurs...) et comme étendard pour un certain nombre de courants environnementalistes. En Europe, notre conception de la protection est plutôt fondée sur une approche patrimoniale. L'essor récent de la notion de naturalité et les mouvements en faveur de la nature férale (cf.définition p.31) ou du rewilding (cf. définition p.30) font écho aux réalités de terrain. Le débat sur le statut du sauvage et du « naturel » traverse les acteurs de la conservation.

Loin de vouloir apporter une réponse tranchée sur un sujet complexe et sensible, l'objectif de ce dossier est d’illustrer la diversité des positions afin de pouvoir éclairer certains enjeux essentiels. En effet, les espaces protégés constituent des lieux emblématiques de la préservation du sauvage, qui manifeste, par ailleurs, un retour dans bien des espaces non protégés, voire dans des zones urbanisées. Pourtant, différentes visions de la nature se côtoient et conduisent à une diversité d'interprétations quant aux objectifs de la conservation, et aux moyens d'y parvenir. En particulier, deux conceptions situées chacune aux deux extrêmes d’un gradient de naturalité structurent le débat :

  • d'un coté, la naturalité « absolue » ou « anthropique », qui préconise une absence totale d'intervention à partir d'un instant T (et donc d'un état donné d'un écosystème ou d'une espèce pouvant être très dégradé), en laissant la nature en « libre évolution » ;
  • de l'autre, la naturalité « assistée » ou « biologique », qui consiste à intervenir – parfois lourdement – pour permettre à l'écosystème de retrouver une dynamique naturelle, pour ensuite intervenir a priori le moins possible.

Le dossier oscille ainsi entre ces deux approches, la friche et la nature férale d'un coté, la restauration et le rewilding de l'autre. Si l’objectif de libre déroulement des processus naturels est commun, la base philosophique diverge. Les gestionnaires s'interrogent ainsi sur la stratégie à adopter face au retour des grands prédateurs, les agents étant particulièrement exposés aux conflits sur le terrain, ou face à la colonisation ligneuse d'espaces en déprise, souvent mal perçue par certains élus et acteurs locaux qui n'y voient pas une nature sauvage mais des lieux abandonnés. 

Si notre rôle est certainement de favoriser l'acceptation du sauvage, le retour de la grande faune et de préserver ou restaurer la dynamique naturelle des écosystèmes, ne devons-nous pas aussi guider les choix d'espaces de non-intervention et créer les conditions d'une appropriation locale et d'une gouvernance apaisée, permettant à tous les avis de s'exprimer, et au sauvage de se déployer ?