Sols forestiers dégradés : objectif mull
Espaces naturels n°72 - octobre 2020
Michel Ameline, responsable scientifique et prospective, PNR Normandie-Maine, michel.ameline@parc-normandie-maine.fr
Du bon état de fonctionnement du sol dépend la qualité de la production forestière. Retour sur l'expérience menée par le Parc naturel régional Normandie-Maine et l'Offi ce national des forêts pour restaurer des sols surexploités.
Les principaux massifs forestiers du Parc naturel régional (PNR) Normandie- Maine se situent sur le socle armoricain constitué de roches gréseuses et schisteuses pauvres en éléments nutritifs.
Comme dans beaucoup de régions, les forêts du PNR ont été exploitées dès le milieu du Moyen-Âge en taillis ou taillis sous futaie1 pour alimenter l’industrie locale en charbon de bois. À la fi n du XVIIIe siècle, la demande était telle que les rotations sur taillis intervenaient tous les dix à quinze ans au lieu de trente. Cette surexploitation a conduit à un appauvrissement des sols laissant place à une forêt maigre ou de la lande. La conversion en futaie régulière dès la fi n du XIXe siècle n’a pas permis de retrouver une fertilité suffisante des sols, déterminée par un retour de matière organique (feuilles,
bois mort) et une activité biologique suffi sante pour la minéraliser. Dans ce contexte, l’Offi ce national des forêts (ONF) et le PNR se sont associés pour élaborer un programme expérimental
de recherche sur la restauration des sols utilisant les amendements calco-magnésiens. Mis en oeuvre en forêts des Andaines et d’Écouves en Normandie, et de Sillé et Perseigne en Pays de la Loire, ce programme a duré de 1997 à 2012 (dernières analyses). Le but était de vérifi er si un tel amendement permettrait de relancer l’activité biologique sur des humus de types moder ou mor2, avec comme perspectives sylvicoles de favoriser la régénération naturelle du pin et du chêne, et d’envisager la conversion d’un peuplement de pin en chêne. Des suivis pédologiques (pH, rapport carbone/azote, taux
de saturation), fl oristiques et dendrométriques ont été mis en place par l’ONF, complétés par des suivis de la faune du sol (nématodes et arthropodes, en particulier acariens) menés par le Muséum
national d'histoire naturelle.
RÉSULTATS MITIGÉS
Les premiers suivis ont permis d’observer des améliorations de l’activité biologique avec le développement de nématodes bactériophages, l’apparition d’une fl ore moins acidiphile et, dans certains cas, une croissance améliorée des arbres. Mais les mesures réalisées dix ans plus tard n’ont pas confirmé la persistance du bienfait des amendements, sauf en Andaines où les pins ont conservé un meilleur développement en diamètre. Dans tous les cas, l’objectif de réactiver durablement l’activité biologique des sols pour faire évoluer les humus vers un mull3 n’a pas été atteint4. En France, l’utilisation des amendements en forêts domaniales a toujours été marginale : 700 ha en expérimentation entre 1960 et 2005 et près de 6 700 ha en gestion entre 2007 et 2018, le coût étant dissuasif (350 à 500 €/ ha). Cependant, l’ONF souhaite pouvoirréaliser des contrôles sur le long terme notamment sur le dispositif déployé en Normandie-Maine.
DES SOLS TOUJOURS SOUS TENSION
La difficulté à restaurer durablement les sols nous alerte sur leur fragilité et leur sensibilité notamment dans un contexte de changement climatique. Les pressions de prélèvement sur la forêt s’accroissent pour alimenter les fi lières bois énergie et bois matériaux en réponse aux enjeux d’autonomie énergétique et de séquestration de gaz à effet de serre. Cela ne doit pas faire oublier que les conséquences de la surexploitation passée sont encore bien présentes. Conscient de cette réalité, l’ONF a limité volontairement l’exploitation à des fins énergétiques. Le PNR sensibilise par ailleurs les gestionnaires et propriétaires au rôle fondamental du bois mort pour régénérer les sols et à l’importance de raisonner les prélèvements.
(1) Taillis : traitement en cépées (rejets de la souche) pour fournir du bois de chauffage. Taillis sous futaie : combinaison de cépées et d’arbres de haut jet.
(2) Humus à litière épaisse où la matière organique s’accumule en l’absence d’activité biologique.
(3) Humus où l'activité biologique permet l’incorporation rapide de la matière organique.
(4) Sources : V. Boulanger, responsable RDI de l’ONF - S. Autissier, directeur de l’Agence de l’ONF d’Alençon