ÉTATS DES LIEUX

Sols en danger : l'alerte est donnée

 

Espaces naturels n°72 - octobre 2020

Le Dossier

Gilles Landrieu, gilles.   landrieu-biodiversite@orange.fr

Jusqu’à cinq tonnes de biomasse par hectare : les sols hébergent une multitude d’êtres vivants, en plus des produits de dégradation des roches, de l’air, de l’eau et de la matière organique qui les composent.

BIODIVERSITÉ DES SOLS : 1/4 DES ESPÈCES CONNUES PAR LA SCIENCE VIT DANS LE SOL

BIODIVERSITÉ DES SOLS : 1/4 DES ESPÈCES CONNUES PAR LA SCIENCE VIT DANS LE SOL

Issus de mécanismes naturels lents, environ 1 tonne (t) de sol produite par hectare (ha) et par an, les sols ne sont pas facilement renouvelables. Ils constituent comme l’eau, l’air et la biodiversité, une ressource naturelle limitée dont les altérations sont diffi cilement réversibles. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un tiers des sols du monde est dégradé à des degrés divers, du fait de plusieurs facteurs. Tout d’abord, leur érosion, qui peut être accélérée par la déforestation, le surpâturage et l’agriculture mécanisée. Certaines pratiques agricoles (labours profonds, culture sur sols nus, sur-irrigation) diminuent leur fertilité (perte de nutriments et réduction du taux de matière organique). La salinisation en zone côtière liée à la surexploitation des nappes (notamment du fait de l’irrigation) et à l’élévation du niveau des océans contribue également à leur dégradation. La pollution par des éléments métalliques, des hydrocarbures et des pesticides conduit à une perte de leur biodiversité, tandis que leur tassement par les engins agricoles et forestiers provoque leur asphyxie. L’urbanisation et la construction d’infrastructures, enfi n, aboutissent à leur artifi cialisation. En France métropolitaine, 60 000 ha de sols agricoles (dont 70 % sont très fertiles) et de sols forestiers ou naturels sont ainsi artifi cialisés annuellement, soit la surface moyenne d’un département tous les 10 ans.

DES ENJEUX TROP PEU CONSIDÉRÉS
Malgré la convergence des rapports d’expertise, les sols sont insuffi samment pris en compte par l’ensemble des acteurs à l’échelle nationale comme internationale, alors qu’ils sont impliqués dans tous les grands enjeux planétaires : sécurité alimentaire et énergétique, sécurité des ressources en eau, santé publique, changement climatique et protection de la biodiversité. Ainsi, parmi les 17 Objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015 par les Nations unies, l’ODD 15.3 cite bien les sols mais limite son ambition à l’absence de dégradation nette alors que leur restauration serait essentielle.
Rappelons par ailleurs qu’en 1992 à Rio, à côté des conventions sur le climat et sur la diversité biologique, a aussi été signée une convention des Nations unies sur la lutte contre la désertifi cation. Sans pouvoir s'appuyer sur une plateforme science-politique permanente équivalente au Giec pour le climat et à l’IPBES1 pour la biodiversité, cette convention peut cependant recourir, depuis 2013, à l'expertise de l’ITPS2 qui a réalisé en 2015 un état des lieux des sols du monde. Cette étude a mis en évidence le manque d’indicateurs standardisés et de référentiels partagés pour évaluer la biodiversité des sols, leur état, leurs fonctionnalités, leur résilience ou encore l’impact de différentes pratiques.

Les sols sont insuffisamment pris en compte à l’échelle nationale comme internationale, alors qu’ils sont impliqués dans tous les grands enjeux planétaires.

Dans l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques qu’elle a adoptée en 2019, l’IPBES a mis en évidence que les changements d’usage des terres sont la première cause de l’érosion de la biodiversité terrestre. La plateforme a aussi approuvé en 2018 un rapport sur la dégradation et la restauration des sols selon lequel les sols du monde ont déjà perdu 8 % de leur matière organique, 23 % de leur capacité à produire de la biomasse et de nombreux services écosystémiques. En l’absence de mesures correctives, la dégradation des terres et le changement climatique pourraient conduire d’ici 2050 à des diminutions moyennes de rendements agricoles de 10 à 50 % et contraindre 50 à 700 millions de personnes à migrer. Le rapport spécial sur le changement climatique et les terres émergées du Giec (2019) montre, quant à lui, que si l’agriculture, la foresterie et les autres types d’utilisation des terres représentent près d’un quart de nos émissions de gaz à effet de serre, une meilleure gestion des terres pourrait contribuer à faire face au changement climatique. Il souligne cependant que les terres doivent rester productives pour maintenir en priorité la sécurité alimentaire, et que le recours à la bioénergie (biocarburants) ne doit pas se faire à son détriment ni induire la dégradation des sols et de la biodiversité.

UNE MISE EN OEUVRE URGENTE
Toutes sortes de solutions sont pourtant possibles : rechargement des sols en matière organique (fumier, compost), changements de pratiques (non-labour, abandon des pesticides, agroforesterie), intégration de la dégradation des sols dans l’analyse de cycle de vie des produits agricoles, etc. Parmi ces solutions fi gure « l’initiative 4 ‰ ». Portée à la Cop 21 par la France, et intéressant 34 pays, elle propose de compenser les émissions mondiales annuelles de carbone (soit 9,4 milliards de tonnes) par un stockage équivalent dans les sols, ce qui conduirait à augmenter leur teneur en carbone (C) de 4 ‰ par an et donc à réduire le gaz carbonique de l’atmosphère. Les bénéfi ces seraient synergiques car, tout en contribuant à l’atténuation du changement climatique, cette initiative améliorerait la biodiversité et les services écosystémiques du sol, notamment sa fertilité. Dans l’Hexagone, les sols qui stockent le plus de carbone sont les sols de tourbières (jusqu’à 1 400 t de C/ha), les prairies permanentes (84 t de C/ha) et les sols forestiers (81 t de C/ha), qu’il sera diffi cile de charger davantage en carbone. En revanche, les terres cultivées (52 t de C/ha) ont d’importantes
marges de progrès. Certaines pratiques agricoles peuvent favoriser ce stockage : fertilisation modérée et remplacement de la fauche par le pâturage pour les prairies, et semis sans labour, enfouissement de matière organique, allongement des cultures intermédiaires, accroissement de l’assolement en prairies temporaires et agroforesterie, pour les terres cultivées. Mais tout ceci pourrait rester vain si parallèlement on n’interrompait pas sans délai l’exploitation et le drainage des tourbières - ces milieux qui représentent 3 % des superficies terrestres mondiales mais 30 % du carbone des
sols -, et le retournement des prairies permanentes… •

(1) Plateforme intergouvernementale scientifique et
politique sur la biodiversité et les services écosystémiques
(2) Créé en 2013 dans le cadre du partenariat mondial
sur les sols (Global soil partnership), l'Intergovernmental
technical panel on soils (ITPS) est constitué
de 27 experts de différentes régions du monde.