Désartificialiser : enjeux et limites
La désartificialisation permet de redonner vie aux sols. Zoom sur cette solution pour tenter d’effacer les impacts de nos activités sur les sols, avec Christophe Schwartz, professeur en pédologie urbaine et directeur du laboratoire Sols et environnement1.
Quelles sont les conséquences de
l’artificialisation sur les sols ?
Les débats menés actuellement aux niveaux national et international montrent que définir l’artifi cialisation des sols est loin d’être évident. On peut considérer qu’elle correspond à l’ensemble des impacts des activités humaines sur les sols. À des degrés divers, l’artifi cialisation modifie le sol sur trois plans : chimique (déséquilibre des concentrations des constituants), physique (compaction,
imperméabilisation) et biologique (perte de biodiversité). Ces changements altèrent souvent le fonctionnement des sols et, de fait, les services écosystémiques qu’ils nous rendent. Il est donc essentiel d’avoir une vision intégrée reliant l’écosystème sol et l’Homme et, pour cela, de promouvoir la réalisation de diagnostics de la qualité des sols et leur traduction en fonctions et en services attendus par les décideurs, les citoyens, etc.
Comment est-elle prise en compte ?
Prenons des exemples d’aménagements urbains tels que les jardins familiaux et les zones commerciales : les premiers sont souvent implantés en bordure d’infrastructures (gares, routes) et les seconds sur des terres agricoles en périphérie de la ville. On installe donc des usages non adaptés sur des sols artificialisés et on artifi cialise des sols qui le sont moins. Ce paradoxe illustre d’une part la place des sols comme « parent pauvre » des stratégies d’aménagement, et d’autre part la nécessité de fournir aux aménageurs les connaissances et outils permettant une meilleure prise en compte des sols dans ces stratégies.
Qu’est-ce que la désartificialisation ?
C’est une marche arrière, un retour vers un nouvel état fonctionnel du sol. Toutefois, même si un site artifi cialisé est rendu à la nature, nous savons qu’il ne reviendra pas à proprement parlé à son état d’origine. Les enjeux de la désartificialisation et les méthodes mises en oeuvre dépendent de l’intensité et de la nature de l’artifi cialisation (de la friche industrielle au jardin familial urbain), et des objectifs visés. Aujourd’hui, les projets de désartifi cialisation visent souvent à améliorer la biodiversité, notamment en restaurant les continuités écologiques via la Trame verte et bleue, voire la trame brune (voir page 28). Dans tous les cas, c’est le diagnostic de l’état du sol qui permet d’orienter les procédés que ce soit dans le but de dépolluer le sol, le désimperméabiliser ou le requalifier 2. Quant aux méthodes, elles sont trèsvariées : de l’atténuation naturelle lorsque le site est simplement laissé à la nature (processus long nécessitant quelques décennies) à une « refonctionnalisation » complexe par reconstitution du sol, phytomanagement, inoculation de mycorhizes et de microorganismes, etc. Plus cette régénération doit être rapide, plus elle est coûteuse. Le choix de la méthode dépend donc de la stratégie d’aménagement et de la pression foncière.
Quels résultats peut-on en espérer ?
Dans le cadre des travaux menés sur la station expérimentale du Groupement d’intérêt scientifi que sur les friches industrielles (Gisfi ), des approches de requalifi cation de sites très artificialisés sont développées depuis plusieurs années. Elles sont basées sur un diagnostic puis une reconstruction de toute pièce ou une régénération des sols, faisant appel au génie pédologique3. Les objectifs sont alors de décontaminer le site, contrôler la dissémination des polluants puis valoriser les terres dépolluées, en les mélangeant à d’autres matériaux pour recréer des sols fonctionnels. Ces travaux ont permis de suivre la « refonctionnalisation » écologique de ces sols dans le temps et de montrer son effi cacité à long terme. Bien sûr, il ne s’agit pas de retrouver toutes les fonctions ou tous les services
du sol, mais de défi nir une ou plusieurs fonctions attendues (support de végétation, infi ltration de l’eau par exemple) et de dimensionner le procédé de génie pédologique pour atteindre ce but. Il faut ensuite considérer que des fonctions non recouvrées dans un premier temps peuvent réapparaître au cours de l’évolution du sol dans le temps.
Quelle stratégie préconisez-vous ?
Aujourd’hui, on désartifi cialise des sites très localisés et, avant tout, selon des objectifs sanitaires, c’est-à-dire que l’on s’intéresse en priorité aux sites pollués4. L’idéal serait d’avoir une connaissance du niveau d’artifi cialisation de l’ensemble des sols d’un territoire, une métropole par exemple, pour orienter et hiérarchiser les aménagements à l’échelle territoriale. Nous n’en sommes pas là mais des travaux sont menés dans ce sens ; dans le cadre des projets MUSE et SUPRA par exemple, des cartographies de l’intensité de l’artificialisation sont en cours sur des territoires urbains complets.
Toutefois, même si le génie pédologique permet de créer des sols, cette solution n’est pas applicable à l’ensemble d’une métropole ou d’un territoire, du fait de son coût élevé (énergie, matière). Il est donc primordial de gérer le patrimoine « sols » comme une ressource difficilement renouvelable et avant tout de le préserver.
Quelle serait la clé pour mieux gérer la désartifi cialisation ?
Nous n’avons pas encore toutes les clés. Il est néanmoins certain qu’il faut d’abord ralentir, voire arrêter l’artifi cialisation. Et lorsque les sites sont déjà artifi cialisés, il est crucial que les différents acteurs impliqués (paysagistes, urbanistes, pédologues, architectes, écologues, etc.) travaillent ensemble pour aboutir aux meilleures solutions à mettre en oeuvre. Il faut former les acteurs - actuels et futurs - à cette vision intégrée, notamment en développant des enseignements croisés. À titre d’exemple, un partenariat entre l’Ecole d’ingénieurs agronomes de l’université de Lorraine et l’École du paysage de Versailles-Marseille a permis de mettre en place des modules dispensés simultanément aux étudiants des deux filières.
(1) Université de Lorraine-Inrae
(2) Démarche qui vise à donner au sol un nouvel usage.
(3) Désigne l’ensemble des applications des connaissances
scientifi ques du sol pour développer des
procédés de gestion des sols.
(4) La base de données Basias recense 300 000 à
400 000 anciens sites industriels potentiellement
pollués en France, dont certains sont à l’état de
friche (soit environ 100 000 ha). Source Ademe.