Restauration de milieux naturels littoraux après dépoldérisation

 

Espaces naturels n°72 - octobre 2020

Le Dossier

Yann Turgis, Cen Nouvelle- Aquitaine, turgis@cren-poitou-charentes.org

La renaturation d’un ancien polder sur l'estuaire de la Gironde illustre la possible restauration du sol et de milieux dégradés par des pratiques agricoles intensives.

Évolution de la sédimentation et de la végétation du site après dépoldérisation (observatoire photographique depuis 2009).   © Cen Nouvelle-Aquitaine

Évolution de la sédimentation et de la végétation du site après dépoldérisation (observatoire photographique avec de gauche à droite : 2009 , 2012, 2015).                © Cen Nouvelle-Aquitaine

Évolution de la sédimentation et de la végétation du site après dépoldérisation (observatoire photographique depuis 2009). Sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde, 190 hectares de prés salés, peu
exploités, ont été transformés en polder dans les années 1960 sur les communes de Mortagne-sur-Gironde et Chenac- Saint-Seurin-d’Uzet afi n d’installer une production céréalière intensive. En 1999,
la tempête Martin a créé des brèches dans le système d’endiguement du polder et l’eau a envahi cet espace agricole devenu dès lors inexploitable. Pour protéger les habitations, une nouvelle digue a alors été construite plus en retrait dans le cadre du plan Orsec. Le Conservatoire du littoral s’est porté acquéreur des terrains du polder avec un objectif de reconquête des zones humides. Ce choix
assumé de dépoldérisation est l'une des premières expérimentations françaises et de surcroît pour une telle surface. La gestion de cet espace est confi ée au Conservatoire d’espaces naturels (Cen)
de Nouvelle-Aquitaine qui accompagne depuis maintenant plus de vingt ans la reconquête des habitats de ce site.

SÉDIMENTATION
Parmi les observations marquantes : les vitesses de sédimentation spectaculaires. L’agriculture céréalière pratiquée sur le polder pendant plus de trente ans a produit un compactage des sols générant
un niveau topographique inférieur de 90 cm à celui des prés salés adjacents non poldérisés. En quinze ans, le niveau initial a été regagné. Cette évolution rapide est liée à l’importance de l’apport
sédimentaire dont bénéfi cie le site. En effet, le volume d’eau saumâtre oscillant dans l’ancien polder en période de viveseaux a été estimé à près de 2,2 millions de m3. Les concentrations de matières
en suspension peuvent atteindre jusqu’à 4 000 à 5 000 mg/l1 ; elles dépendent directement de la position du bouchon vaseux de l’estuaire qui évolue en fonction des cycles de marées et des débits
fl uviaux saisonniers.

RÉINSTALLATION
Les premières années, des aménagements ont été réalisés pour maintenir un chemin central au milieu du polder et orienter la gestion hydraulique vers le maintien d’une grande lagune en eau sur
une partie du site. Les volumes d’eau sont tels que les aménagements ont rapidement cédé. L’évolution hydrosédimentaire a alors été très rapide et totalement naturelle, avec le creusement d’une grande coursière principale et de chenaux secondaires, et l’installation progressive d’une végétation halophile et sub-halophile, composée notamment d’une végétation pionnière de prés salés, de scirpaies et de roselières, accélérant l’exhaussement sédimentaire. L’expérience montre la forte capacité de restauration de ces milieux présentant un sol appauvri par des années de drainage
et de pratiques agricoles intensives, et capables de retrouver, en deux décennies, une mosaïque d’habitats intertidaux fonctionnels avec son cortège d’espèces inféodées. Les suivis réalisés par le Cen
et son partenaire l'Irstea montrent que les vasières en formation ont rapidement accueilli des communautés de méiofaune et de macrofaune benthiques caractéristiques de cet habitat. La banque de
graines apportée par les masses d’eau a réactivé la dynamique naturelle avec le développement d’un étagement de végétation caractéristique des marais estuariens. Le site évolue désormais vers
une morphologie plus mature avec une stabilisation des habitats et des niveaux bathymétriques passant d’un milieu très ouvert avec d’importantes surfaces de vasières et une grande lagune à des
faciès de roselières et de prés salés pâturés traversés par des chenaux. Un bilan de cette dépoldérisation sur les plans faunistique, fl oristique, paysager et sédimentaire est conduit dans le cadre du programme Life Adapto (2018-2021) mené par le Conservatoire du littoral. Il s’agit de rassembler la connaissance disponible afin d’éclairer d’autres projets de dépoldérisation à venir sur les différentes façades de France.

(1) Artelia (2020), Étude bilan de la réouverture du polder aval de Mortagne-sur-Gironde