Discrétion

Rester les pieds sur terre, ne pas tomber dans le panneau

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Accueil - Fréquentation

Alain Freytet, paysagiste DPLG, alain@freytet.fr

Le paysagiste Alain Freytet alerte sur l'interventionnisme que l’on constate parfois dans les espaces naturels. Selon lui, accueillir le visiteur, c'est aussi limiter les aménagements pour le laisser maître de ses propres émotions.

© Alain Freytet

© Alain Freytet

Comme il y a des espèces exotiques envahissantes, on constate sur certains sites la présence d’un mobilier envahissant qui artificialise et banalise malheureusement les milieux naturels. Ces objets qui tentent de faciliter leur fréquentation et leur interprétation perturbent la lisibilité du paysage. Ces aménagements qui ont pu être nécessaires à un moment donné pourraient être considérés comme une étape que l’on peut aujourd’hui dépasser. La présence d’un stationnement trop proche du coeur de site, la construction de platelages en bois dans les zones humides ou sur des sols fragiles, la prolifération de panneaux d’interprétation naturalistes ou la mise en place de structure de protection des milieux diminuent le plaisir et parfois le bonheur que l’on souhaite partager au contact d’une nature que l’on attend sans artifice.

LA SOUSTRACTION : MOINS D’OBJETS ET PLUS DE NATURE

Les stationnements sont généralement les lieux les plus impactés par cette multiplication d’équipements. Ils offrent aux visiteurs qui descendent de leur voiture une première perception brouillée et sans recul : bancs et tables de pique-nique, poubelles et containers, panneaux routiers et d’interprétation, rambardes et grillages...

Sur ces lieux, le travail du paysagiste consiste souvent à enlever ces objets ou à en minimiser le nombre. Cette soustraction n’est pas une régression mais un gain pour le paysage comme l’exprime si bien Pierre Rabhi en parlant de « sobriété heureuse ». Le traitement de l’espace gagne à rester sobre et modeste. La suppression des poubelles est aujourd’hui possible dans de nombreux sites, les messages de responsabilité de l’homme envers son environnement ayant été diffusés dans la société. Quand cela est possible, le projet de paysage recherche plus fondamentalement à modifier la structure de l’accueil. Cette intention se traduit souvent par un recul du stationnement. Elle permet d’éviter le dérangement du milieu et de proposer une perception du site naturel après un parcours pédestre conçu comme une expérience sensible qui s’apparentera à une initiation à la nature et au paysage. Trouver une localisation adaptée pour un nouveau stationnement situé à une certaine distance du lieu d’intérêt exige un long travail d’arpentage, de concertation et d’imagination. Ainsi les véhicules ne seront pas visibles depuis le site, et le premier regard sur le paysage attendu sera vécu sans aménagement visible ni panneau.

NE PAS TOMBER DANS LE PANNEAU

L’espace quotidien est saturé de messages et de sollicitations de toutes sortes. Le paysage résiste mal à cette intrusion qui attire et capture le regard et l’esprit. Un panneau artificialise le milieu et réduit l’échelle du paysage qui, quand on l’enlève, reprend toute son ampleur et sa valeur. Les panneaux d’interprétation naturalistes, posés dans l’intention louable d’expliquer la nature et les travaux que l’on engage pour sa préservation, sont souvent des barrières à la découverte émotionnelle et directe de la nature. Ils imposent des données géographiques ou biologiques que l’on pourrait apprendre par d’autres médias plus respectueux des sites naturels. De récentes évaluations montrent que peu de gens lisent ces panneaux et que ceux qui les lisent ne retiennent que très peu de choses.

Si, malgré les doutes sur leur efficacité ou leur intérêt, on fait le choix de proposer une interprétation extérieure, il est possible de le faire de façon sobre et si possible regroupée par exemple autour du stationnement, d’un édifice ou d’une ruine pour laisser le parcours dans le milieu naturel sans autre présence que la nature elle-même.

MARCHER LES PIEDS SUR TERRE

Toucher la terre, sentir l’onctuosité et la souplesse du sol font partie de l’expérience paysagère. L’ouïe et le toucher font entrer le visiteur en paysage sans béquille ni carapace. Les lieux qui ne semblent avoir été ni aménagés, ni protégés, ni organisés dévoilent plus directement leur « esprit ». Le projet d’aménagement d’un espace naturel consiste souvent à canaliser la fréquentation et éviter ainsi le piétinement, l’érosion et le dérangement. Il est réussi quand on ne décèle pas qu’il y a eu projet. Ce n’est pas le cas des platelages souvent bruyants et glissants, coûteux, difficiles à entretenir et qui, surtout, entraînent une banalisation et une artificialisation des sites.

Ces aménagements donnent l'impression que nature et homme doivent être mis à distance, d’un côté que la nature est dangereuse et de l’autre que l’homme qui tasse, érode et piétine constitue une menace. Ce message est l’opposé de celui que l’on tente de faire passer : celui d’une relation harmonieuse, directe et sensible entre l’homme et la nature. Pour limiter ces platelages, ces escaliers en bois et ces passerelles, il n’est pas besoin de vouloir aller partout, quitte à ne pas pénétrer dans certains lieux fragiles. Les sentiers peuvent les frôler, les montrer de façon moins ostentatoire en leur laissant une part de mystère. Ces tracés moins interventionnistes parlent souvent le langage précis du site. Certains sentiers peuvent être submersibles. Même sur des sites très fréquentés, de simples gués de pierre peuvent suffire pour franchir un ruisseau ou un fossé.

PROTÉGER SANS INTERDIRE, CANALISER SANS CONTRAINDRE

Rambardes, barrières, filets, mono-fil : les mesures pour la sécurité des personnes et la lutte contre l’érosion nous poussent souvent à accumuler les protections en posant des éléments mobiliers souvent en contradiction avec la nature des lieux. Il est possible, dans de très nombreux cas, de s’en passer ou de les adapter. Le tracé du sentier peut être déplacé et, si ces protections se révèlent indispensables, elles peuvent être conçues à moindre frais en puisant dans les motifs locaux : plessage de branches mortes ou vivantes, fossé, chemin creux, clôture rurale utilisée pour les enclos de pâturage, etc. Le projet de paysage gagne pour ce faire à s’appuyer sur des structures existantes et souvent effacées : un vieux chemin, un muret, un quai, une terrasse... Ces motifs signent la singularité des lieux et les ambiances auxquelles nous sommes attachés. Plutôt que d’aménager avec des éléments exogènes, on tente de travailler avec le local en proposant des travaux de restauration utilisant des techniques traditionnelles. La technique de la pierre sèche est à ce titre exemplaire, qu’elle concerne les murets, les murs, les emmarchements ou les dallages. Elle offre une plus-value environnementale importante par rapport aux gabions ou aux murs maçonnés au mortier.

Les aménagements de demain bénéficieront de moins d’argent et de financements se portant plus sur l'investissement que le fonctionnement. C’est peut-être l’occasion d’éviter la facilité et la multiplication des aménagements standardisés et lourds d’entretien. La sobriété et la simplicité des projets rendent le paysage plus attrayant et laissent le visiteur maître de ses propres émotions. Cet attachement à la beauté est sans doute le meilleur argument pour que chacun veille à la protection de la nature.