Définir le caractère d’un territoire

Vingt ans après, Beauport fidèle à lui-même

 
La définition de l’esprit des lieux sert de fil rouge à un projet vivant

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Le Dossier

Laurence Meiffret
conservatrice
Alain Freytet
paysagiste dplg

Entre terre et mer… Depuis longtemps abandonné par la vie monastique, l’abbaye prémontrée de Beauport est acquise en 1993 par le Conservatoire du littoral qui envisage immédiatement sa restauration : le lieu est « complexe et fascinant », il convient de garder sa spécificité. Cependant, au-delà de cette appréciation globale, la définition reste floue : que faut-il respecter sans concession aucune ? Comment décliner l’esprit de lieux dans la pratique d’un projet de restauration ? Avec l’appui du cabinet Urbanis, les élus, la population locale, des touristes sont interrogés afin de cerner les éléments caractéristiques du domaine de Beauport et de retenir un scénario de réhabilitation architecturale et paysagère. Que veut-on faire de ce site dans quinze, vingt ans ? Que doit-on éviter ? En 1995, après deux ans de travail, Beauport se définit comme une ruine romantique intimiste, un paysage ouvert, un lieu symbolique lié au repliement monacal… Trois concepts contradictoires. Ont-ils évolué, se sont-ils figés ? « Ils constituent toujours aujourd’hui le référent pour la gestion du site naturel et architectural mais également pour le choix des activités humaines et culturelles qui habitent le lieu, livre Laurence Meiffret, la conservatrice du site. C’est à travers ce prisme que nous nous posons des questions sur les choix de gestion, d’aménagement, d’activités. Cette définition initiale sert de fil rouge et nous oblige à des discussions régulières.
Il m’arrive de reprendre mes écrits de l’époque et, dans cette finesse d’analyse, je cherche à voir si l’on n’est pas en train
de déraper. Telle activité, tel aménagement a-t-il sa place
ou trahit-il quelque chose de
fondamental ? »
Ainsi, la notion de ruine romantique oblige à conserver les ambiances intimistes de fouillis végétal, du cœur desquelles sortent un mur ou un bas-relief médiéval. On aurait vite fait de trop tondre, de faire trop propre. Ici, il faut mettre la barre de coupe un peu plus haut ; même s’il faut « repasser » dans huit jours ; même si certains prétendent que c’est mal entretenu, à commencer par les jardiniers qui sortent des écoles. « Nous avons opté pour une cristallisation de la ruine tout en rendant plus lisible la géographie dans laquelle s’inscrivent le monument et le jardin. » Adossée à la forêt de Beauport, l’abbaye possédait son port, aujourd’hui envasé. La colonisation végétale a bouché la vue vers la mer et ne permet plus au visiteur de comprendre la relation du monument avec l’eau. Faut-il débroussailler la digue ou garder le hallier littoral pour ne pas déranger les couples de tadornes qui nichent dans le marais ? Rien n’est tranché. Les discussions se poursuivent, arbre par arbre, branche par branche. Révéler une caractéristique majeure des lieux peut donc entrer en contradiction avec de strictes données ornithologiques. Et, puisque Beauport est un espace symbolique lié au repliement monacal et porté par le motif du moine au travail, le lieu doit garder sa vocation d’apprentissage et d’initiation. Aujourd’hui sous la forme de chantier d’insertion de détenus et de nombreuses activités pédagogiques. De même, un verger conservatoire permet de produire du cidre et un grand jardin mêle plantes potagères et ornementales. Par la force de son esprit respecté, Beauport n’est pas devenu un monument-musée.

1. La carte des paysages inscrit les lieux dans leur contexte et permet d’en comprendre l’esprit. Elle détermine la stratégie d’aménagement mais aussi le détail de petites interventions propres à conforter l’esprit des lieux.
2. Les différents travaux du domaine monastique étaient jusqu’au 14e siècle, effectués par des frères convers.