Relever le défi d'une nature vivante

 
Autrement dit

Le point de vue de Christiane Lambert
Première vice-présidente de la FNSEA

À l'occasion du dossier La biodiversité est dans le pré, Espaces naturels a souhaité recueillir la vision de la FNSEA sur les liens entre agriculture et espaces naturels.

Christiane Lambert

Christiane Lambert

À QUOI SERVENT SELON VOUS LES ESPACES PROTÉGÉS ET LES GESTIONNAIRES QUI Y TRAVAILLENT ?

Actuellement les espaces protégés, avec des degrés de protection réglementaire très différents comme les parcs nationaux, les réserves, les espaces naturels sensibles, les arrêtés de protection de biotope, sont plutôt vus comme des espaces de contraintes pour les agriculteurs. Des espaces où des normes s’imposent à eux, des espaces souvent méconnus, et pour autant qui s’empilent sur les territoires, se superposent et limitent les activités économiques.

Pour autant, ces espaces protégés sont souvent des espaces riches en biodiversité, en paysages, et contribuent à l'identité, au développement du tourisme et à l'attractivité du territoire. Ils sont évidemment liés aux activités économiques présentes : l’agriculture, le pastoralisme, la pêche, le tourisme ou l’exploitation forestière.

C’est pourquoi, il semble indispensable que ces espaces protégés mettent en avant les richesses de nos territoires, valorisent les paysages construits au fil du temps par les femmes et les hommes, au cours des siècles, notamment par les agriculteurs. Ils devraient favoriser le développement économique des activités qui les maintiennent, comme l’agriculture, tout en permettant de préserver la nature.

Les espaces protégés peuvent également être des espaces d’échanges entre les différentes parties prenantes d’un territoire. Un espace où chacun peut apporter son point de vue, confronter ses idées sur la nature, l’agriculture, l’environnement dans son ensemble. Où chacun peut défendre son intérêt propre et être acteur de son environnement. C’est en partageant notre savoir-faire, nos expériences, nos idées, que nous pourrons – entre gestionnaires d’espaces naturels, agriculteurs, associations environnementales, forestiers, chasseurs, élus – trouver des solutions viables et adaptées pour la nature et les territoires.

Les gestionnaires d’espaces protégés ont un rôle important à jouer dans ce partage, cet échange de propositions. Ils doivent être les catalyseurs de la concertation, de l’innovation et des échanges, pour faire émerger des solutions et promouvoir une gestion durable des espaces qui concilient environnement et économie, et profitent ainsi à chacun. Pour cela, il est nécessaire de développer l’écoute, d’être attentif aux requêtes de chacun et de construire ensemble les actions de préservation des sites. Il sera également important de communiquer sur les enjeux, de partager les connaissances, avec les acteurs locaux, et de diffuser les informations. Aujourd’hui, les agriculteurs ne se sentent ni écoutés, ni informés dans ces espaces protégés réglementairement. Même si, dans d’autres espaces comme les PNR, le dialogue et la concertation avec les agriculteurs permettent de tisser des relations durables.

Il serait profitable, par exemple, de mettre en place des groupes de travail sur l’agriculture dans les espaces protégés, ou d’organiser des rencontres sur le terrain entre gestionnaires d’espaces et agriculteurs.

À VOTRE AVIS, QUELLE NATURE DEVRIONS-NOUS CONSERVER ?

La nature, c’est l’environnement quotidien des agriculteurs. Elle est partout, dans les sols, dans les champs, dans les haies. Elle est nécessaire pourles activités agricoles : matière organique du sol, filtration de l’air et de l’eau, pollinisation, cycle de vie des plantes, prévention de l’érosion des sols, prévention des inondations,... L’agriculture occupe aujourd’hui plus de la moitié du territoire français et depuis des siècles a contribué à l’anthropisation, d’une grande partie des espaces naturels. Actuellement, les agriculteurs deviennent de plus en plus conscients de l’importance de préserver cette biodiversité, et de faire évoluer leurs pratiques quotidiennement pour qu’elles prennent davantage en compte la biodiversité présente sur leurs exploitations, notamment les pollinisateurs, les auxiliaires de cultures et la faune du sol. Par la connaissance des écosystèmes et des services écosystémiques et par leurs expériences, les agriculteurs inscrivent leurs exploitations dans la croissance durable.

Conserver une nature plutôt qu’une autre ? Pour quoi faire ? La nature est partout, et elle est nécessaire sur tous les territoires. Pourquoi opposer ou mettre des étiquettes sur une forme de nature ou une autre ? La nature évolue constamment, elle s’adapte, change avec la société. Nous ne pouvons pas la figer, elle est en vie, mais nous pouvons la prendre en compte dans nos activités quotidiennes. Les milieux agricoles, comme les autres milieux, ont leurs propres caractéristiques, leurs propres atouts, et sont porteurs de biodiversité. Un milieu ouvert et valorisé par l’agriculture hébergera une avifaune spécifique, une prairie humide accueillera des espèces floristiques caractéristiques de ces milieux. La biodiversité ordinaire fait partie de la nature, et ne mérite pas que nous choisissions de privilégier une nature plutôt remarquable ou extraordinaire.

 

DANS QUEL SENS DEVRAIT ALLER LA CONSERVATION DE LA NATURE ?

Il conviendrait de changer d’approche. Passer d’une vision conservatrice à une vision dynamique, comme le propose le projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Depuis 1976, la loi prévoit une vision sanctuarisée des espaces naturels, une « mise sous cloche » de la nature, alors que cette nature est utilisée et mise en valeur tous les jours par les habitants, les agriculteurs, les acteurs socio-économiques. Pour autant, lors de la construction du réseau Natura 2000, en France, le choix a été fait de prendre en compte les activités humaines en place, et de valoriser ces activités pour qu’elles préservent les sites Natura 2000. Une logique plus contractuelle et dynamique est possible.

Cette vision conservatrice ne semble plus adaptée à la dynamique observée chez les espèces, qui évoluent, trouvent de nouvelles solutions, changent leurs habitudes. Les milieux également devront s’adapter demain, aux changements climatiques, aux catastrophes naturelles, et deviendront plus résilients. Les milieux agricoles en font partie, et apporteront leurs propres solutions à ces adaptations nécessaires.

La nature n’est pas uniforme, les paysages sont spécifiques à chaque territoire, la biodiversité diffère d’un territoire à un autre. Des forêts de feuillus, du bocage à l’ouest, des plaines calcicoles au nord, des prairies de montagne, aux plateaux méditerranéens, la nature nous offre en France de multiples facettes. Pour préserver cette richesse étroitement liée, très souvent, à l’agriculture, nous considérons que la solution réside davantage dans la contractualisation entre gestionnaires d’espaces naturels et agriculteurs, plutôt que dans l’exclusion ou la « mise sous cloche » des activités agricoles dans les espaces protégés. C’est par la concertation, la formation, l’incitation que nous réussirons à relever ce défi d’une nature vivante, d’une nature dynamique, où chaque acteur trouve sa place. Des formations sur l’agriculture dans les espaces protégés, sur le paysage ou la biodiversité pourraient, en effet, être proposées aux agriculteurs pour améliorer leurs connaissances et créer des liens entre gestionnaires d’espaces protégés et agriculteurs.

Dans le contexte actuel de grave crise agricole, le plus gros risque pour les espaces agricoles, c’est la disparition de nombreux élevages, seuls capables de maintenir certains écosystèmes. La durabilité nécessite une approche multidimensionnelle économique, sociale, et environnementale – à l’échelle des territoires. 

 

Christiane Lambert est en charge du dossier sur la biodiversité pour la FNSEA et membre du comité de suivi de la Stratégie nationale de la biodiversité. Elle est agricultrice dans le Maine-et-Loire.