Pour lutter, il faut personnaliser
La lutte contre le parasitisme des ruminants au pâturage est un des principaux défis sanitaires de l'élevage. Hélas, parmi les molécules les plus efficaces et les plus utilisées, certaines ne sont pas sans effet sur les écosystèmes prairiaux. Concilier les enjeux de production et la préservation de l'environnement nécessite de proposer une approche personnalisée, à l'échelle de l'élevage.
La croissance des jeunes animaux est une des clés de réussite en élevage. C’est aussi bien le cas pour les animaux élevés pour leur viande que pour les femelles laitières. Leur stature au moment de la première mise-bas conditionne leur carrière de productrice. Or, le principal effet du parasitisme sur les jeunes ruminants est de pénaliser leur croissance. Ce parasitisme interne est dominé, d'une part, par les strongles, des vers hébergés pour la plupart dans le tube digestif et, d'autre part, par les trématodes (grande douve du foie, petite douve et paramphistomes) au cycle de développement plus complexe.
Pour faire face à cet enjeu, favoriser l’acquisition d'une immunité par le bétail est une solution privilégiée mais pas parfaite, pour deux raisons au moins. Tout d'abord, elle est inopérante en pratique pour éviter les effets délétères des trématodes ou des dictyocaules (strongles à localisation respiratoire). D'autre part, l'installation de l'immunité contre les strongles digestifs nécessite, chez les bovins, deux années de fréquentation du pâturage. Cette période s'avère trop longue dans les systèmes de production de viande impliquant l'abattage des jeunes bovins dès l'âge de 2 ans. De fait, l'objectif de développement immunitaire intéresse principalement les femelles destinées à la reproduction.
Le recours aux antiparasitaires est donc très souvent jugé indispensable, soit pour détruire les parasites contre lesquels le développement immunitaire n'est pas une solution, soit pour maintenir un équilibre hôte-parasites à un niveau juste suffisant pour permettre l'installation d'une immunité durable sans avoir à subir d'effets négatifs significatifs sur la croissance des animaux.
QUELS PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX ?
Parmi les antiparasitaires distribués aujourd'hui en France, seuls les produits contenant des avermectines (ivermectine, doramectine et éprinomectine) posent véritablement problème. Leur toxicité intrinsèque, mesurée en laboratoire, sur les larves des coléoptères coprophages est incontestable. La rémanence de leurs résidus dans les excréments des ruminants peut durer plusieurs semaines et leur le dossier L a biodiversité est dans le prétoxicité réelle, dans cette situation, est d’une dizaine de jours sur ces larves. En conditions naturelles néanmoins, les effets de ces résidus sont beaucoup plus délicats à identifier. Ils s'observent cependant à très long terme (une dizaine d'années au moins, en cas de traitements répétés des animaux fréquentant d’année en année une même pâture), par un appauvrissement de la diversité spécifique et des effectifs de bousiers.
Or, ces coprophages jouent un rôle important dans le recyclage par minéralisation des excréments des ruminants et constituent, par ailleurs, une ressource trophique non négligeable pour certaines espèces de chiroptères et d'oiseaux.
Les avermectines sont principalement utilisées contre les strongles. La lutte contre les trématodes (douves et paramphistomes) implique d’autres traitements, sans effets connus sur la faune coprophage. En outre, il existe d’autres molécules actives contre les parasites ciblés par les avermectines : elles sont pour la plupart plus anciennes, et souvent moins efficaces. C’est là l’essentiel du problème. L'abandon – ou l'utilisation parcimonieuse – des avermectines est souvent vécu comme un retour en arrière.
PROPOSER UNE APPROCHE PERSONNALISÉE
Tout est donc affaire d’équilibres subtils entre le milieu, l'animal, le type et nombre de parasites, le mode de production, les objectifs de l’éleveur et les objectifs de préservation de l'environnement. D’une exploitation à l’autre, et même d’une année sur l’autre dans le même élevage, la situation peut appeler des réponses différentes.
Dans le contexte parasitaire français, attendre l’apparition des premiers symptômes pour ne traiter qu’au cas par cas ne constitue pas une bonne solution. Quand les premiers symptômes apparaissent, même détectés très tôt, l’infestation parasitaire est généralement déjà massive et ses effets sur la croissance des jeunes irréversibles. La réduction des traitements systématiques qui constituent une solution de facilité passe donc par l’établissement d’un diagnostic de situation annuel aussi précis que possible pour mesurer le risque parasitaire, et par le renforcement des mesures de prévention non médicamenteuses.
Il faut encourager en premier lieu l’analyse de situation (pour décider en connaissance de cause) et les mesures de prévention non médicamenteuses (clôtures, rotation, baisse de la densité d’animaux, etc.). Avec l’aide de ses conseillers, en particulier le vétérinaire, chaque exploitant doit conduire une réflexion individuelle afin d'adopter la meilleure stratégie. Pour cela, les leviers à disposition sont heureusement assez nombreux et permettent généralement d’agir favorablement pour le bétail comme pour l'environnement.
Plusieurs examens de laboratoire permettent d'abord d'affiner le diagnostic : dosage de pepsinogène sérique et lactosérologie pour les strongles, sérologie pour la grande douve, coproscopies pour les paramphistomes et la petite douve.
Le nombre d’œufs de strongles peut être réduit sur certaines parcelles par une gestion affinée du pâturage : sortie tardive des animaux au printemps, fauche préalable ou à l’automne, rotations de pâturages et pâturage mixte (bovins/chevaux, etc.) et réduction de la densité d’animaux. En pratique, il faut évaluer si elles sont opportunes et compatibles avec les contraintes de l’exploitation ou du territoire. En zones humides, la prévention des infestations par les trématodes nécessite aussi de sécuriser l’accès aux points d’eau stagnante (mares, etc.) grâce au clôturage de la mare et un système d'abreuvement à distance.
Si la situation parasitaire ne permet pas d’éviter le recours à un traitement, il est aussi possible d’agir sur les périodes de vermifugation, le choix des produits et le choix des animaux traités : une vermifugation à l’étable est toujours préférable pour l’environnement à une vermifugation au pâturage. De même, dans certaines régions, le traitement à la mise au pâturage ou dans le mois qui suit (période critique de reproduction des bousiers) sera utilement remplacé par un traitement plus tardif (durant l’été). Aussi, le protocole appliqué aux adultes immunisés est, par exemple, généralement différent de celui des animaux plus jeunes. Des recherches en cours portent sur la pertinence de traitements individualisés. C’est une piste intéressante pour l’avenir.
Enfin, bien que certaines molécules n’aient pas d'effet connu sur l'environnement, il est avisé d'éviter de conseiller, par simplicité, le recours à une molécule unique. Il augmente le risque d’apparition de résistances (une pression de sélection favorable à certains parasites) et suscite des actions stéréotypées d’année en année, donc une baisse de la réflexion technique et de la vigilance, aux antipodes des objectifs recherchés !
Quant aux médecines alternatives ou complémentaires, elles ne proposent pas de solution efficace contre le parasitisme. Quelques pistes pour la lutte contre les strongles concernent les plantes à tanins mais les solutions pratiques pour permettre leur utilisation manquent encore. Le champ de la recherche reste largement ouvert dans ce domaine.
En matière de maîtrise du parasitisme, il est donc possible de trouver des solutions pour concilier des objectifs de réussite économique de l’élevage et de protection des écosystèmes. À condition de recourir à une analyse fine, au cas par cas, impliquant l’éleveur et ses conseillers techniques.