Dénombrement

Recherche désespérément méthodes alternatives

 

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Études - Recherches

Irène Girard
Parc national de la Vanoise

 

Les gestionnaires interpellent les scientifiques : les méthodes actuellement utilisées pour dénombrer les populations d’ongulés sauvages sont soumises à de nombreux aléas et la fiabilité des résultats n’est pas toujours assurée. Serait-il possible de trouver des protocoles alternatifs ? Alors les scientifiques cherchent… Mais les méthodes qu’ils proposent soulèvent d’autres questions et génèrent d’autres inconvénients. Du coup, on s’interroge : peuvent-ils répondre à tout ? Peut-être l’incertitude est-elle une donnée intrinsèque, permanente, une donnée qu’il faudrait considérer comme inéluctable ?

Les espaces protégés participent à la connaissance et à la gestion des ongulés sauvages en organisant régulièrement des opérations de comptage. Les méthodes utilisées actuellement sont basées sur le principe du pointage suivant des protocoles mis au point à la fin des années 70 : le territoire est découpé en quartiers de comptages et prospecté de façon identique à chaque opération suivant un rythme annuel ou pluri-annuel.
Mais cette méthode, qui vise à apprécier les changements d’effectifs et de structure des populations, est soumise à de nombreux aléas. Les conditions météorologiques, les moyens humains disponibles, la localisation des animaux sont autant de facteurs susceptibles d’influencer les résultats. Adapté pour les populations à faible densité, en milieu ouvert, ce protocole se révèle moins fiable lorsqu’il s’agit d’apprécier le niveau des effectifs et leur variation dans les populations à forte densité. Ainsi, le taux d’incertitude peut se révéler supérieur aux variations inter-annuelles des effectifs. Par ailleurs, l’exigence importante en moyens humains pour la réalisation de ces dénombrements les rend de plus en plus difficiles à mettre en œuvre.
Partant de ce constat, un projet de recherche a été élaboré1. Il est initié sous la co-tutelle des universités de Lyon 1 et de Sherbrooke (Canada), et rassemble les parcs nationaux de la Vanoise, des Écrins, du Mercantour, et du Grand-Paradis (Italie) ainsi que l’ONCFS2. Baptisé Émilie3, ce projet vise à développer de nouvelles approches de suivi des ongulés de montagne (bouquetins et chamois) en explorant l’ensemble des méthodes potentiellement utilisables tels des recensements globaux, des échantillonnages, des suivis d’individus marqués…. Ces approches doivent prendre en compte les facteurs externes influençant le fonctionnement des populations comme la météorologie, les pathologies, la cohabitation avec les ongulés domestiques, les activités humaines. 
Elles doivent également tenir compte de critères de faisabilité : période de l’année concernée, périodicité, emprise spatiale, importance de la marge d’erreur, indices de fiabilité…
Suivre la reproduction
et la survie des individus
Plusieurs méthodes sont actuellement en cours d’étude, parmi elles : le suivi de la reproduction et de la survie des individus. En effet, l’évolution des effectifs dépend en premier lieu du nombre de nouveaux individus participant chaque année à la reproduction (taux de recrutement) et, à l’inverse, du nombre de ceux qui en sont exclus (par la mortalité notamment). Pour estimer ces paramètres au sein d’une population, il s’agit de marquer des individus et de les suivre. On notera en particulier en été, le nombre de cabris aux côtés des femelles (après mises-bas), on fera la même observation en fin d’hiver après la mortalité hivernale4. Ceci devrait permettre d’évaluer le taux de recrutement. Ensuite, l’observation régulière des adultes permettra d’obtenir le taux annuel de survie. Les données accumulées depuis de nombreuses années au sein des Parcs nationaux de la Vanoise, des Écrins et du Grand-Paradis constituent un support privilégié pour ce type d’étude. La combinaison des paramètres précédents avec des facteurs externes pertinents tels la météorologie, peut être un moyen d’évaluer la dynamique des populations. Toutefois, cette méthodologie demande un fort investissement en moyens humains. Pour être concret, en Vanoise, cette méthode de suivi des individus marqués requiert une centaine de jours-agent par population étudiée (au nombre de trois) contre un total de 250 jours-agent par opération de dénombrement tous les deux ans. L’aspect financier n’est pas non plus négligeable puisque les besoins en matériel de capture et de suivi (colliers émetteurs, appareils de réception) sont plus importants que ceux requis pour les dénombrements classiques. Par ailleurs, elle n’apporte pas les mêmes informations : elle omet la répartition spatiale ou le nombre global d’individus, or ces données sont fortement demandées par la population locale et le grand public.
D’autres méthodes sont à explorer. C’est le cas des indices densité-dépendants5 ou encore d’autres types d’échantillonnages. Il est cependant à craindre qu’aucune d’entre elles ne permette de répondre à toutes les attentes des gestionnaires. Le choix final devra donc résulter d’un nécessaire compromis entre les exigences scientifiques d’une part et les moyens humains et matériels dont disposent les espaces protégés.

1. Débuté en septembre 2004 pour trois ans.
2. Office national de la chasse et de la faune sauvage.
3. Étude, méthodes initiatives légères inter-espaces protégés.
4. Un cabri qui a survécu au 1er hiver possède une très forte probabilité de survivre au second hiver et donc d'atteindre l'âge de deux ans, âge à partir duquel les individus sont susceptibles physiologiquement de se reproduire.
5. Cette méthode s’appuie sur l’observation de la croissance annuelle des cornes et de la corpulence des individus.