« Je suis un retardateur de perte écologique »

 
Rencontre avec Didier Couret

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Le Dossier

Didier Couret
Agent ONF, gestionnaire technique du site de la Côte Bleue

 

La très forte pression du feu est-elle compatible avec une gestion conservatoire ?
Nous n’avons guère le choix. Ici, le régime des pluies est l’un des plus bas de France, le vent est extrêmement présent ; quant à la végétation, elle a été dégradée par des décennies de sur-pâturage. Les garrigues très pauvres, très sèches, sont extrêmement inflammables. Nous sommes donc bien obligés d’intégrer le feu dans nos politiques de gestion.
Quelles formes cela prend-t-il ?
Nous poursuivons trois axes. Le premier vise à conserver le patrimoine génétique de la végétation. Nous plantons des feuillus, des arbustes à baies sauvages, nous reconstituons les anciennes oliveraies… Dans les parcelles à sol profond, nous ouvrons les espaces pour limiter la propagation des incendies et permettre à la faune sauvage d’avoir des zones de repli.
Un deuxième axe est la plantation d’îlots porte-graines de pins d’Alep, qui favoriseront la dissémination par le vent. Et puis, bien sûr, il y a les travaux d’infrastructures, les pare-feu par exemple.
Quels sont les principaux problèmes ?
L’argent. Sans budget, nous ne pouvons assurer la continuité du travail. Or, si le feu passe, tout est à refaire. Selon les principes de la DFCI, il faudrait créer des ouvrages qui canalisent les incendies en fonction du sens du vent.
Votre travail est donc très technique…
Le feu comporte toujours une dimension psychologique. D’ailleurs, mon principal travail est d’être à l’écoute des gens… Mon rôle est alors de rassembler les doléances, de faire la synthèse des événements, puis de réunir les acteurs locaux pour envisager des solutions. Il y a des réunions avec l’ensemble des utilisateurs du site, puis, sous la présidence des maires, le comité local de gestion adopte les actions à entreprendre. Je suis alors l’interface et l’assemblier des initiatives.
C’est une formation que vous avez reçue ?
Certes non. À l’ONF, on gère des forêts publiques pour produire du bois. On n’aborde pas l’aspect psychologique. Pourtant ici, dans la réalité, nous vivons un état de crise permanent. En 1999, par exemple, nous avons connu un feu qui a ravagé 650 hectares de zone boisée. Pendant trois ans, les arbres brûlés sont restés tels des stalagmites. Entre-temps, les insectes ravageurs étaient intervenus. La garrigue et la pinède repoussaient, des arbres d’un mètre de
diamètre commençaient à tomber sur les sentiers… Les gens rouspétaient… Je vous laisse imaginer !
Finalement, quand nous avons eu le financement pour travailler, il a fallu expliquer notre action aux promeneurs, aux chasseurs… les débats contradictoires ont été très rudes. Difficile ! Mais c’est également très intéressant et très valorisant.
Vous êtes toujours respecté ?
Bien sûr que non. Il faut allier autorité et pédagogie. Pour l’autorité, j’ai mon uniforme, mon arme et mon képi… Mais il faut aussi savoir composer. Lors de certaines opérations, je montre mon projet et, quand la pression est trop forte, il m’arrive de le modifier. Et puis, du dialogue et de la critique sortent toujours les meilleures solutions. Désamorcer certaines situations et mieux expliquer les actions entreprises cela, nécessite beaucoup d’énergie.
Comment qualifieriez-vous votre rôle ?
Je suis plutôt un retardateur de perte écologique.
Je suis là pour limiter un peu les dégâts, en attendant que des solutions plus efficaces pour préserver l’environnement soient trouvées.
En fait, vous êtes très seul !
Oui et non. Il est vrai, par exemple, que les communes qui gèrent ces espaces n’ont pas de gros moyens et que la Communauté de communes de Marseille sur laquelle est implanté ce territoire n’a pas de compétences en matière d’environnement. Je suis donc la seule personne-ressource. En revanche, mon boulot consiste aussi à trouver des alliés. Ainsi, sur les terrains du Conservatoire, il y a un éleveur de chèvres du Rove (voir photo). Nous avons réussi à le convaindre de faire pâturer son troupeau en forêt. Il entretient donc tous les pare-feu. C’est un peu comme si j’avais un adjoint. Ce chevrier… c’est très important… C’est fondamental d’avoir au moins un être qui vit de la nature. Je peux aussi m’appuyer sur les associations de protection de l’environnement et sur les sociétés de chasse qui sont très actives. Les autres utilisateurs : les promeneurs, vététistes… sont plutôt des consommateurs à titre gratuit.
Dans ce contexte, je retiens une chose : l’importance de la relation humaine. Ce sont l’intimité avec les gens et la confiance, acquises sur le terrain, qui me permettent d’être efficient.

Recueillis par Moune Poli