>>> Réserve naturelle du Pinail

Le feu domestiqué

 
brûlis dirigés, mise en pratique

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Le Dossier

Pascal Dubech
Conservateur Gerepi

 

Le décret du 29 avril 2002 indique que l’opération de brûlage dirigé « est conduite de façon planifiée et contrôlée sur un périmètre prédéfini, avec obligation de mise en sécurité vis-à-vis des personnes, des biens, des peuplements forestiers et des terrains limitrophes », conformément au cahier des charges approuvé par chaque préfet de département. Mise en pratique dans la Réserve naturelle du Pinail (86 - Vienne)…

Le Pinail… pendant longtemps les habitants y exerçaient les droits d’usage1 : collecte de la bruyère à balai, pâturage, chasse, pêche… Et, afin de favoriser la repousse de jeunes bruyères, ajoncs nains et graminées appétentes pour le gibier et les troupeaux, les riverains mettaient régulièrement le feu. Ils reproduisaient les grands incendies naturels, éléments perturbateurs fondamentaux qui maintiennent les brandes2 et leur cortège de plantes associées.
En 1994, la Réserve naturelle du Pinail se dote d’un plan de gestion. Il vise la régénération régulière des habitats de landes, désormais rares, en évitant, bien sûr, le départ de grands incendies comme ceux qui traversèrent la Réserve en 1981 et 1991. Pour ce faire, l’association de gestion de la Réserve naturelle du Pinail (Gerepi) remet alors en œuvre les techniques anciennes et plus particulièrement les brûlis dirigés3.
Pour obtenir une mosaïque de landes d’âges différents, ces brûlis sont programmés bisannuellement sur des surfaces comprises de trois à cinq hectares sur un cycle d’environ quinze ans. Afin de préserver l’avifaune et d’éviter tout débordement, ils sont réalisés entre septembre et février.
Ce mode de gestion, qui permet de maintenir une végétation spécifique, adaptée au passage du feu, a l’avantage de pouvoir être appliqué partout. Notamment là où aucun engin de coupe ne peut circuler, du fait du maillage serré de mares.
Sous haute surveillance
La réalisation des brûlis dirigés passe par l’accord annuel du Comité consultatif et avis du Conseil scientifique de la Réserve naturelle. Après dix ans de pratique, la procédure devient bien rôdée : avant chaque chantier, une autorisation est demandée auprès des services de la DDAF4, de la mairie et de l’ONF. Des pare-feu de dix mètres de large entourant toute la zone à brûler sont préalablement réalisés. Ils sont inspectés par la DDSIS 865 avec laquelle plusieurs dates de mise à feu seront arrêtées. Une veille météo est alors réalisée. En effet, le chantier de brûlage doit intervenir hors période de risque très sévère de départ d’incendie, cette nomenclature étant déterminée par la DDSIS 86 et les services météorologiques locaux. Un minimum de sécheresse et un vent faible sont cependant nécessaires pour bénéficier d’un feu courant efficace.
Le jour J, après le bulletin d’information météorologique de 7 h, la décision de réalisation du chantier est prise pour une mise à feu en fin de matinée ou début d’après-midi. Des fax d’informations sont aussitôt transmis aux autorités et aux différents acteurs. Vingt sapeurs-pompiers et trois véhicules munis de lances sont disposés sur le pare-feu périmétral. Dans les parties où les engins ne peuvent accéder, des motopompes sont installées dans les mares. Néanmoins, l’eau ne devrait pas être utilisée, le feu s’éteignant de lui-même par la technique du « feu/contre-feu ».
Le chantier démarre par un test d’inflammabilité
réalisé sur le pare-feu. Si le comportement des flammes est satisfaisant, le conservateur et un de ses collègues allument le pare-feu et la lande contre le vent, l’allumage se faisant à l’aide de torches incendiaires remplies d’un mélange de gazole et d’essence.
Ils sécurisent et élargissent ainsi le pare-feu où pompiers et bénévoles, munis de battes à feu, maîtrisent tout débordement.
La zone est progressivement circonscrite. Une fois au vent, les deux allumeurs se rejoignent le plus rapidement possible. Le nouveau front de flammes ainsi créé viendra mourir en une grande gerbe de flammes sur le contre-feu. Dans le cas d’une inflammabilité médiocre, des allumages complémentaires sont effectués au cœur du secteur désormais sécurisé.
L’opération aura duré environ cinq à six heures : deux heures de briefing et d’installation des personnels et véhicules, une heure trente d’allumage contre le vent, trente minutes pour le reste de la zone et, éventuellement, une à deux heures de passage complémentaire. Le personnel restera jusqu’à la nuit pour surveiller toute reprise du feu.
Cinquante hectares régénérés
Depuis 1994, quinze brûlis couvrant environ 50 ha ont ainsi été réalisés. En termes d’efficacité, cinq d’entre eux ont peu brûlé : essentiellement ceux réalisés de la mi-novembre à la mi-décembre. En termes de maîtrise : un seul a débordé en raison d’une levée de vent au cours de l’opération. Le feu a cependant été contenu (par l’allumage d’un contre-feu notamment) et cette expérience a été riche d’enseignements. En termes d’impacts, ces brûlis, s’ils n’ont pas l’intensité des incendies printaniers ou estivaux d’antan (funaires et pilulaires à globules y sont moins nombreuses, les sicots6 de brande restent trois à quatre ans avant de tomber), permettent néanmoins de régénérer efficacement les brandes qui sont immédiatement recolonisées par la faune et la flore pour lesquelles des suivis de populations sont réalisés.
À l’avenir, au vu de l’expérience acquise, il a été décidé de ne réaliser qu’un seul brûlis par an mais de plus grande superficie (environ dix hectares) et dans des conditions optimales d’inflammabilité autorisées (uniquement mi-septembre à mi-octobre ou fin février). Il est également prévu de brûler la zone
centrale de la Réserve gardée jusqu’alors en témoin. En effet, de telles landes âgées de quinze ans existent hors Réserve, elles présentent un faible intérêt écologique et peuvent de surcroît favoriser la concentration de sangliers.

1. Avant le retour à un statut domanial en 1964.
2. Les brandes… terminologie locale des landes à bruyères à balai… Étymologiquement ce terme est à rapprocher de « brandon » et de « brûler » caractérisant le lien étroit de ces espaces avec le feu.
3. À l’initiative de Thierry Anton, alors conservateur.
4. Direction départementale de l’agriculture et de la forêt.
5. Direction départementale des services d’incendies et de secours de la Vienne.
6. Sicot : terme employé localement pour désigner les tiges en bouquet de bruyères à balai.