>>> Quel impact sur la biodiversité ?

Incendies et forêt : un équilibre précaire

 

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Le Dossier

Michel Vennetier
Cemagref Aix

 

Que se passe-t-il réellement après le passage du feu ? Il y a bien sûr des manifestations visibles : certaines espèces disparaissent localement et la végétation change de structure. Mais le feu modifie également les propriétés physiques et chimiques du sol. C’est l’ensemble du cycle de vie qui est perturbé.

Des forêts tropicales aux zones boréales, le feu fait partie du fonctionnement normal de nombreux écosystèmes. À l’état naturel, il contribue à la biodiversité en permettant la régénération des espèces pionnières et le maintien des espèces de milieux ouverts. Et, lorsque sur une longue période, la fréquence du feu est constante, un équilibre s’installe entre végétation et fréquence naturelle des incendies1. Ainsi, bien que le feu constitue une forte perturbation à l’échelle locale, il n’en est pas de même si l’on considère une échelle plus large. En effet, sur le long terme et à la dimension de vastes paysages, on constate que des proportions stables de végétation de différentes structures et classes d’âge sont conservées. Cette mosaïque de végétation, globalement stable dans sa diversité, est favorable à la conservation d’un maximum d’espèces animales et végétales.
Dans les écosystèmes forestiers, la fréquence des incendies est faible (moins d’une fois par siècle) et, lorsque cette fréquence s’accroît, l’équilibre s’établit autour de formations arbustives, puis de savanes plus ou moins arborées ou de formations ligneuses très ouvertes.
En provoquant des feux, l’Homme accentue la fréquence des incendies naturels. Il fait alors basculer, progressivement, les systèmes forestiers vers un nouvel équilibre, adapté au régime de perturbation (autre type forestier ou une structure simplifiée de végétation telles les garrigues ou savanes).
Notons aussi que l’équilibre actuel entre régimes d’incendies et forêts pourrait être bouleversé par le réchauffement climatique, qui se traduirait par la modification des espèces présentes et l’aggravation potentielle de la violence des feux.
La biodiversité cachée
Le débat sur l’impact écologique des incendies
de forêt ne peut pas être totalement objectif car
des pans entiers de connaissance font défaut. L’écosystème forestier apparaît comme un iceberg dont on ne connaît qu’une petite partie émergée : les végétaux supérieurs (nombreux et particulièrement diversifiés dans les milieux ouverts par les incendies), et les grands animaux (oiseaux, mammifères…). Cependant, le « maximum » de biodiversité est composé de petites espèces (insectes, vers, nématodes, mollusques…), de la microflore et la microfaune (microarthropodes, bactéries, champignons) particulièrement présentes sur et dans le sol.
Cette partie souterraine de l’écosystème est primordiale pour son fonctionnement. En effet, les êtres vivants et les caractéristiques physico-chimiques du sol sont en interaction permanente (cf. figure). De leur équilibre dépend en grande partie la résilience de l’écosystème face aux perturbations. Ainsi, tout en dépendant des caractéristiques du sol, ces êtres vivants le façonnent en recyclant la matière organique : ils le brassent, créent sa structure superficielle, assurent sa porosité et sa perméabilité.
Ceci dit, il est exact aussi que l’impact direct des incendies sur les composantes vivantes du sol et leur impact indirect lié aux modifications physico-chimiques, sont peu connus. Par ailleurs, les effets de la répétition des incendies ont été très peu étudiés : on sait simplement que les incendies multiplient les risques d’érosion, déclenchent une dégradation physique et chimique du sol, provoquent la disparition d’une partie des espèces et la multiplication des plus adaptées au feu. La désertification de certaines régions fréquemment incendiées est flagrante mais on ignore à partir de quels seuils de fréquence et d’intensité se produit le passage à un nouvel équilibre, ou se crée une dégradation irréversible à court terme.
Pour évaluer objectivement l’impact des incendies, il faudrait aussi pouvoir en référer aux forêts anciennes non brûlées depuis très longtemps. Moins riches en végétaux supérieurs, elles sont souvent mieux nanties en insectes, microfaune et microflore. Or ces forêts anciennes font totalement défaut dans nos régions méditerranéennes.
De ces constatations ressortent quelques objectifs opérationnels : les zones qui méritent une protection renforcée sont, d’une part, les forêts les plus âgées et les plus naturelles, maillon manquant du paysage méditerranéen actuel et, d’autre part, (malgré leur aspect peu valorisant) les sites ayant subi plusieurs incendies récents, menacés de dégradation irréversible.
Quant à la recherche, elle devrait nous permettre de dégager des bases objectives de discussion sur la biodiversité dans toutes ses composantes et une compréhension des interactions fonctionnelles entre cette biodiversité, le milieu physique et la résilience de l’écosystème.

1. La fréquence des incendies détermine la structure de la végétation et sa densité (qui dépendent aussi de la fertilité du site et du climat). Celles-ci déterminent une biomasse plus ou moins combustible qui régule, en retour, la fréquence et l’intensité des incendies.

2. En référence au cycle des éléments nutritifs, de la matière organique, des mycorhizes (fixés sur les racines des plantes, les champignons mycorhiziens favorisent l’absorption de l’eau et des éléments nutritifs nécessaires au développement des plantes hôtes).