Évaluation

Pouvoir comparer des états de conservation

 

Espaces naturels n°49 - janvier 2015

Études - Recherches

Pauline Herbert
Anne Bonis
Jan Bernard Bouzillé

Il existe des critères d’évaluation informatifs qui permettraient des comparaisons entre sites, pour un même habitat et entre habitats. Pour cela, leur utilisation doit nécessairement être accompagnée de la description du système utilisé, et de la définition des contours et échelles auxquelles l’habitat sera considéré et évalué.

Les prairies subhalophiles thermo-atlantiques sont composées de plusieurs types d'associations végétales, dont l'identification contribue à l'évaluation de leur état de conservation © Conservatoire du littoral - A. Bonis

Mettre en oeuvre une démarche d’évaluation de l’état de conservation des habitats est requis dans une diversité de contextes, que ce soit pour répondre à la demande européenne ou dans le cadre des plans de gestion des espaces qui y sont soumis. Dans le cadre de la directive Habitat, les critères d’évaluation font référence à l’aire de répartition naturelle, aux évolutions de la surface de l’habitat, à l’état de conservation des espèces caractéristiques (structure et fonctionnement) et aux pressions. Or, à l’échelle locale, les méthodes à mettre en oeuvre et les critères d’évaluation pertinents ne sont pas encore précisés pour tous les habitats (1). C’est néanmoins à cette échelle que se pose la question de l’évaluation pour les gestionnaires.

TENIR COMPTE DE LA DIVERSITÉ DES ASSOCIATIONS VÉGÉTALES

Un habitat peut correspondre à différentes associations végétales. Ainsi, l’habitat générique « Prés salés méditerranéens » (Juncetalia maritimi) est composé en France de trois habitats élémentaires, dont l’habitat « Prairies subhalophiles thermo-atlantiques » qui nous intéresse ici (voir photo), et où six associations végétales d’intérêt communautaires sont répertoriées. Si l’on considère maintenant l’habitat constitué par l’ensemble des prairies humides du marais poitevin, aux associations d’intérêt communautaire de l’habitat « prairies subhalophiles thermo-atlantiques » s’ajoutent par exemple huit associations rattachées à l’habitat « végétation des bas marais neutro-alcalins ».
Évaluer l’état de conservation des prairies naturelles humides nécessite de prendre en compte, autant que possible, cette diversité et donc l’ensemble des associations végétales et des habitats élémentaires qui peuvent y être répertoriés. L’existence de cette diversité au sein d’un habitat ou écosystème peut améliorer l’état de conservation dans la mesure où elle pourra procurer, d’une part, une meilleure résilience face à des changements d’environnement par rapport à un couvert homogène et, d’autre part, présenter des complémentarités intéressantes sur le plan de l’état de conservation de l’habitat élémentaire. Cette complémentarité peut s’observer sur le plan patrimonial et aussi en termes de différents services rendus (fourrage, qualité de l’eau, …).

UN HABITAT, DES ENJEUX

Dans le cas des prairies subhalophiles thermo-atlantiques, l’état de conservation pourrait être qualifié en fonction de divers enjeux associés à ce genre de milieux. Il convient alors d’intégrer la diversité d’associations dans l’évaluation de l’état de conservation vis-à-vis de ces enjeux. C’est ainsi que nous avons pu noter treize associations végétales (toutes répertoriées dans les prairies humides littorales atlantiques) en relation avec (un échantillon de) trois enjeux associés à ce type d’habitat : la qualité paysagère, la biodiversité et le caractère hygrophile (ci-dessus). Le score attribué à chaque association prend en compte plusieurs critères : la richesse spécifique végétale, l’indice de diversité de Shannon, le nombre d’espèces protégées, l’intérêt communautaire des espèces, le pourcentage d’espèces fleuries, le nombre d’espèces hygrophiles, et les pondère différemment (coefficient entre 0 et 5) selon l’enjeu considéré. Le score total d’une association végétale pour un enjeu est ensuite ramené à un total sur 10, qui correspond au maximum tel que défini par l’état de référence. À travers les trois schémas ci-dessus, on voit que, selon l'enjeu, l'importance relative des différentes associations n'est pas la même. Par exemple, pour ce qui concerne la qualité paysagère et le caractère hygrophile, les deux associations en haut et à droite présentent les meilleurs scores d'état de conservation, alors que pour la biodiversité, deux autres associations végétales (à gauche) présentent un score plus élevé. En effet, pour la biodiversité, plusieurs associations présentent une assez bonne note alors que pour les enjeux de caractère hygrophile, seules quatre des treize associations présentent un bon score.

VERS DES SERVICES RENDUS

Les habitats en bon état de fonctionnement (et donc de conservation) sont susceptibles de fournir une diversité de services écologiques qui peuvent procurer des bénéfices en matière de provision, de régulation, de loisirs, et culturels. Évaluer l’état de conservation en termes de services rendus pourrait alors permettre de tenir compte de la diversité des attendus des acteurs d’un territoire. Or, il manque en la matière une proposition synthétique qui permettrait d’identifier les critères standardisés qui pourraient constituer le socle pour une telle évaluation. Renseigner la diversité de critères décrits ci-dessus permet de reconnaître les dimensions plurielles des différents services et d’examiner les relations (ampleur, direction) entre différents critères. Par la suite, il serait possible d’approcher les degrés de compatibilité ou d’incompatibilité entre services rendus qui sont de nature patrimoniale (ci-dessus) avec d’autres services associés à ce type d’habitat comme la production de fourrage par exemple.

QUEL ÉTAT DE RÉFÉRENCE ?

Le résultat des évaluations de l’état de conservation des habitats est fréquemment exprimé en termes qualitatifs (bon ou mauvais avec les nuances intermédiaires). Pour que des comparaisons puissent être faites dans le temps, dans l’espace, et entre habitats, il importe que toute évaluation précise l’état de référence auquel l‘état observé est comparé. De multiples raisons peuvent conduire au choix d’un état de référence. Ces raisons peuvent changer d’une région à l’autre, mais également avec l’avancée des connaissances. Il est important que le système de référence utilisé soit explicitement présenté, et que le jeu de données sous-jacent à l’évaluation puisse être remobilisé dans un cadre de référence différent. À cet effet, il est souhaitable que les données brutes, accompagnées de leur protocole d’acquisition, soient disponibles : c’est là un des services que peut rendre la base nationale de données sur la végétation, VegFrance, en cours de développement(2)

(1) voir Espaces naturels n°40 pour un panorama des méthodes.
(2) www.vegfrance.univ-rennes1.fr