Connaissances

Ces raisons qui font qu’on s’occupe si mal des petites bêtes

 

Espaces naturels n°49 - janvier 2015

Le Dossier

Thierry Noblecourt
pôle national d’entomologie forestière

Petite saperde du peuplier (Saperda populnea). Hormis pour quelques cas simples comme ce longicorne, la détermination
fiable des insectes passe par des captures et l'utilisation d'une collection de référence. © Xavier Houard

Malgré leur omniprésence, beaucoup d’espèces sont rares. Cette rareté peut avoir pour origine le manque d’habitat ou de micro-habitat. Dans ce cas, on peut espérer conserver l’espèce en maintenant, voire en développant, son habitat. Cela peut parfois nécessiter beaucoup de temps (création de grosses cavités dans les arbres), et n’être efficace que si l’espèce s’est maintenue à proximité pour recoloniser l’habitat.

D’autres, encore, sont très rares alors que leur habitat est commun : c’est le cas de Dryocoetes alni par exemple qui n’est connu en France que d’une petite dizaine d’observations depuis 1930. Imaginons un instant un oiseau, un mammifère, un reptile ou un batracien qui serait connu de moins de dix observations depuis 80 ans en France. Il serait tout en haut de la liste des espèces protégées et serait considéré en voie d’extinction. Il bénéficierait de toutes les attentions possibles pour contribuer à sa sauvegarde ! Mais un insecte… D’aucuns prétendront que cette espèce est rare car elle n’a pas été recherchée au bon moment, au bon endroit, avec la bonne méthode et par la bonne personne. Certes, c’est possible mais quand même !

Un coléoptère qui vit en petite colonie sous l’écorce des arbres (des aulnes dans le cas présent) est très surveillé par les forestiers depuis des générations, d’autant qu’ils ont longtemps pensé que ces petites bêtes étaient responsables de la mort des arbres. Et puis en 80 ans, il en aura défilé des générations d’entomologistes dans les forêts, les bois, les parcs et les jardins, grattant les arbres morts, soulevant les écorces, pour ne compter en tout et pour tout qu’une petite dizaine d’individus.

LES ENTOMOLOGISTES SONT TROP PEU NOMBREUX PAR RAPPORT AU NOMBRE D’INSECTES

Que penser de Blasticotoma filiceti, petite tenthrède à répartition paléarctique et qui n’est connue de la plupart des pays d’Europe de l’ouest que de quelques individus parfois même d’un seul, alors que les plantes hôtes sont communes (fougères diverses : Pteridium aquilinum, Polystichum sp., Dryopteris sp.) ? Que penser également de ces espèces dont on n’a que la description et dont on retrouve un deuxième ou un troisième individu 50, 80 ou 100 ans après ?
Et puis, il y a les espèces qui deviennent rares à cause des modifications des paysages et de la fragmentation des habitats alors qu’elles étaient abondantes il n’y a pas si longtemps…

La rareté extrême existe chez les insectes même s’il y a toujours un doute sur la réalité effective de cette rareté : les entomologistes sont peu nombreux, surtout si on tient compte du nombre d’insectes présents en France (37 000 espèces environ en métropole) et si on est conscient que la grande majorité des entomologistes étudient les mêmes groupes (orthoptères, rhopalocères, odonates et certaines familles de coléoptères, telles que Cerambycidae, Buprestidae, grands Carabidae) qui sont relativement restreints en nombre d’espèces. La connaissance de la biologie est aussi très fragmentaire pour de nombreuses familles.
S'il faut évidemment s'intéresser à la conservation des espèces rares, la protection réglementaire des espèces a montré ses limites. Bien souvent, elle focalise l'attention sur l’individu prélevé ou détruit et non sur la dégradation insidieuse des milieux naturels.

Malgré tout, chaque espèce considérée comme rare dans l’état actuel des connaissances doit faire l’objet de toutes les attentions avec un porté à connaissance et une sensibilisation des gestionnaires concernés : on ne peut préserver durablement que ce que l’on connaît. Les entomologistes ont encore du travail d’inventaire devant eux !