Le dossier lu par... Pierre Jay-Robert
Espaces naturels n°49 - janvier 2015
Pierre Jay-Robert
CEFE - Université Paul Valéry Montpellier
Et vous, quels sont vos premiers souvenirs entomologiques ? Est-ce ce jason, majestueux et charitable, qui prit un peu de repos sur votre épaule après vous avoir égaré dans le maquis ? Le phasme au balancement hypnotique ? Ou bien cette guêpe, enivrée de sirop, qui vous piqua au coin des lèvres et vous envoya, petit Elephant Man, être la risée du collège ?
Nulle science, mais autant d’expériences sensorielles intenses qui ont marqué pour longtemps (pour toujours ?) votre relation avec ce qui constitue les deux tiers des espèces connues. Une relation où, souvent, l’appréhension l’emporte sur l’affection. Car l’enjeu est là : ces animaux si différents de nous, si complexes à comprendre, se sont diversifiés en même temps que les écosystèmes continentaux pour en devenir la cheville ouvrière. Aujourd’hui indispensables à la régulation de ces écosystèmes, à la reproduction de la végétation ou au recyclage de la matière organique, les petits et innombrables insectes structurent tous les réseaux trophiques terrestres. À travers eux transite l’essentiel des flux de matière et d’énergie.
C’est cette vitalité que les gestionnaires d’espaces naturels doivent comprendre, faire connaître et protéger. Mais aucune de ces missions n’est aisée. La multitude des espèces, leur discrétion, le contraste entre le mode de vie des larves et celui des adultes sont autant de difficultés. Le regard porté sur les insectes en est une autre. Empreint d’expériences intimes, ce regard est le fruit de notre relation avec les espèces de notre quotidien. Le gestionnaire devra ainsi confronter son approche, nourrie d’une analyse écologique et motivée par son désir de préserver des équilibres, avec la perception d’acteurs en butte à des espèces synanthropes ou parasites et pour qui l’insecte est d’abord « une sale bête ».
Ravageurs des cultures, vecteurs de pathogènes… Quelques espèces ont profité des opportunités offertes par une humanité envahissante. Mais si les insectes sont multiples, les insecticides ne font pas la part entre le nuisant stomoxe et le valeureux bousier. Ce discernement passera par le dialogue, par un échange fécond d’informations et de points de vue qui permettra de dépasser la vision subjective que chacun cultive des insectes pour en construire une vision partagée, rendre grâce à leur diversité et nous permettre de jouir encore longtemps d’une biosphère qu’ils façonnent depuis 400 millions d’années.