IPBES

Mieux informer les politiques pour défendre la biodiversité à l’international

 

Espaces naturels n°65 - janvier 2019

Vu ailleurs

La sixième plénière de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) s’est réunie en mars 2018 à Medellín (Colombie). Retour sur cette rencontre et sur la place que les acteurs français de la protection de la biodiversité peuvent y occuper.

Une vue de Medellín (Colombie), où s'est tenue la sixième plénière de l'IPBES en mars 2018. © Milo Miloezger

Une vue de Medellín (Colombie), où s'est tenue la sixième plénière de l'IPBES en mars 2018. © Milo Miloezger

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) vise à renforcer l’interface entre sciences et politique en vue de la conservation et de l’usage durable de la biodiversité, du bien-être de l’humanité à long terme et du développement durable. Organisme indépendant créé en 2012 sous l'égide du Programme des Nations unies pour l’environnement aux sociétés humaines au niveau mondial, sur demande des décideurs politiques. Pour cela, elle effectue des évaluations régionales et thématiques régulières grâce à des centaines de scientifiques de tous pays, qui sont discutées et approuvées lors de réunions plénières organisées chaque année depuis 2013. À l’instar du GIEC, son homologue pour les questions climatiques, l’IPBES permet de mettre en évidence des macro-phénomènes dont il est important de prendre conscience à l’échelle mondiale : trafics d’espèces, gestion des espèces exotiques envahissantes, surexploitation des ressources, déclin des pollinisateurs, dégradation des terres, etc., tous ces phénomènes ne peuvent se résoudre uniquement à l’échelle nationale. Les scientifiques réunis par l’IPBES rédigent des rapports qui sont débattus et appropriés par les représentants des gouvernements des États membres, fournissant aux politiques une information indispensable à la décision.

LA PLÉNIÈRE, UNE INSTANCE MAÎTRESSE DE L’IPBES

Instance maîtresse de l’IPBES, une plénière décisionnelle, réunie annuellement, rassemble les 130 États membres et plus de 300 organismes observateurs (ONG, instituts de recherche, associations de communautés autochtones, etc.). Ses décisions sont préparées par des « groupes de contact » composés d’États membres intéressés. Elle est complétée par un bureau administratif et financier de dix membres, et un Groupe d’experts multidisciplinaire (GEM) de 25 scientifiques de différentes disciplines et régions du monde. Les décisions de la plénière sont mises en oeuvre par un secrétariat exécutif d'une vingtaine de personnes, basé à Bonn, sur la base d'un programme de travail pluriannuel : évaluations thématiques et méthodologiques, renforcement des connaissances et des capacités, outils et méthodes d’aide à la décision, communication, etc.

Les travaux de la plénière se font par consensus : on discute les résumés pour décideurs ligne par ligne jusqu'à ce que tout le monde soit d'accord. Quelle que soit la taille du pays qu’ils représentent, les participants ont une voix. Faute d'accord, le président de séance réunit en petit comité les principaux protagonistes pour trouver une formulation acceptable pour tous : à défaut, on revient à la version initiale rédigée par les scientifiques.

La sixième plénière de l’IPBES, réunie en mars à Medellín (Colombie), avait pour mission d’approuver quatre évaluations régionales de la biodiversité et une évaluation thématique sur la dégradation et la restauration des terres. Ces cinq évaluations, avec celles consacrées aux pollinisateurs et aux scénarios et modèles sorties en 2016, et celle de la biodiversité et des services écosystémiques à approuver en 2019, constitueront, pour les prochaines années, des références mondiales équivalentes à l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (MEA, 2005). Elles permettent de fonder un socle de connaissances partagées pour guider les politiques de conservation de la biodiversité à l'échelle mondiale, comme la Convention sur la diversité biologique (CDB) ou la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), et à l'échelle de chacun de pays membres. Cette plénière a aussi décidé du lancement de trois nouvelles évaluations, sur les thèmes suivants : « usage durable des espèces sauvages » et « valeurs de la nature » dès 2018 et « espèces exotiques envahissantes » en 2019.

La rencontre de Medellín a permis de bâtir les budgets 2018 et 2019 de la plateforme, dans un contexte de ressources financières limitées (à ce jour, seuls 25 pays membres contribuent volontairement au financement) et renouveler le groupe d’experts multidisciplinaire.

LA FRANCE À PIED D’OEUVRE, DE MEDELLÍN À PARIS

Une délégation française de 22 personnes, experts et représentants ministériels, s’est rendue à la plénière de Medellín. Constituée par le ministère des Affaires étrangères et le Comité français pour l’IPBES dont le secrétariat est assuré par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, elle a concrétisé un engagement de la France à plusieurs égards vis-à-vis de la plateforme.

La délégation française a ainsi contribué de façon active et reconnue à construire des consensus en s'appuyant sur les connaissances scientifiques établies sur l’état de la biodiversité, son évolution et l’efficacité des mesures de préservation, en participant à tous les groupes de contact. Des scientifiques français de haut niveau ont aussi été présentés pour le renouvellement du GEM : Sandra Lavorel, chercheuse en écologie fonctionnelle et directrice de recherche au CNRS a ainsi été sélectionnée à cette occasion. Enfin, la proposition de Paris d’héberger la prochaine plénière de la plateforme a été très bien accueillie, de même que celle d’héberger en France, à Paris et Montpellier, le groupe d'appui technique de l’évaluation sur l’usage des espèces sauvages.

Ces résultats sont l’aboutissement d’un engagement sur la durée. En effet, dès 2017, l'AFB, en lien étroit avec la FRB, a pu attribuer à l'IPBES une subvention de 900 000 € fléchée sur la production d'évaluations mondiales, complémentaire de la contribution française (de l’ordre de 200 000 €/an). Cet apport, conjugué avec des premières contributions de l'Union européenne (environ 1 million €/an), les contributions régulières de certains États membres, les économies du Secrétariat exécutif et la mise à disposition de l'IPBES par la France d'une experte en levée de fonds, a contribué à débloquer la situation budgétaire. Ainsi, un budget viable a-t-il été adopté pour 2018 (8,5 millions €) et 2019, et les trois évaluations en suspens lancées, donnant à l'IPBES des perspectives nouvelles pour répondre aux enjeux planétaires.

Participer à la rencontre de Medellín a montré qu'avec un minimum de ressources, de méthode et d'organisation, il était possible d'influer positivement sur la trajectoire d'un organisme multilatéral. Malgré la complexité des procédures et la difficulté de dialoguer à 130 pays, la délégation française a pu amender les cinq rapports produits, améliorer leur lisibilité, introduire de nouvelles idées, influer sur certains concepts, contribuer à stabiliser le budget… Rien n'aurait été possible sans l'important travail effectué dans le mois précédent la plénière de relecture des résumés pour décideurs, sans la coordination efficace de la délégation par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères avec l'assistance de la FRB. Il est surprenant de voir que 130 pays puissent se mettre d'accord sur des rapports si complexes : en effet, en mars dernier à Medellín, lors du vote final en plénière, les rapports ont tous été adoptés à l'unanimité. Même si l’IPBES n’est qu’un organe consultatif qui n’est pas là pour dicter leurs actions aux gouvernements et ne dispose pas d’énormes moyens eu égard à l’immensité de la tâche, il s’affirme comme un socle important d’aide à la décision.

L'aventure continue : à son retour de la sixième plénière de l’IPBES, le Comité français a contribué à la relecture du projet d'évaluation mondiale, travaillé à la rédaction en français des synthèses et à la diffusion des messages clés de deux évaluations approuvées. Il revient maintenant à chacun de nous de se les approprier, afin d’inspirer nos actions, de piocher ce qui peut nous être utile dans la masse de connaissances produite et de mettre à jour nos argumentaires et plaidoyers pour la biodiversité.