île de la réunion

Faites taire la lumière

 

Espaces naturels n°40 - octobre 2012

Aménagement - Gouvernance

Isabelle Henry
PN de La Réunion

 

Trop d’éclairage nuit à la biodiversité : comment agir hors d’un espace protégé ? Le Parc national de La Réunion se mobilise pour défendre le pétrel de Barau.

Le pétrel de Barau, espèce endémique de La Réunion, passe la majorité de sa vie en mer et niche dans les pentes des plus hauts sommets de l’île. Sa survie est menacée par la pollution lumineuse (1). En effet, au moment de leur premier envol (avril-mai) qui a lieu de nuit, les jeunes pétrels survolent la bande littorale très urbanisée (cf. carte p. 54), sont attirés par les éclairages et s’échouent au sol. Ils sont alors voués à une mort certaine : avec leurs longues ailes et leurs pattes palmées très en arrière du corps, ils sont incapables de redécoller. Ils sont alors victimes des chats et des rats, mais également du trafic routier, de la déshydratation ou de la faim.
Des solutions existent pour diminuer la pollution lumineuse : éclairer seulement où et quand la lumière est nécessaire à l’usager, orienter le faisceau lumineux vers le sol et cacher la source lumineuse à l’intérieur de la structure du lampadaire afin de ne plus diffuser de lumière vers le ciel, réduire l’intensité des ampoules…
La question est donc de savoir comment convaincre les acteurs de réaliser ces améliorations. D’autant que l’essentiel de la pollution lumineuse est située en dehors du cœur du parc et que les protagonistes sont aussi nombreux que les enjeux sous-tendus par l’éclairage artificiel : sécurité, sport, tourisme…
Sur cette question, le Parc national de La Réunion travaille avec plusieurs partenaires (2), d’une part en finançant des actions de connaissance et de gestion, d’autre part en menant des actions communes de sensibilisation.

Un réseau à la rescousse. Depuis 1996, la Société d’études ornithologiques de La Réunion (Seor) travaille au sauvetage des oiseaux échoués. À chaque début de saison d’envol, l’association informe le public et les communes par voie de presse, d’affichage, ou de courriers. Un véritable réseau de sauvetage fonctionne grâce aux habitants, bénévoles et professionnels : pompiers, vétérinaires, agents du parc national.
La Seor a entrepris une démarche vers les communes les incitant à signer une « charte d’engagement pour la réduction de la pollution lumineuse ». La convention prévoit le financement par la collectivité du sauvetage des oiseaux échoués sur son territoire et la sensibilisation du public par le biais d’interventions pédagogiques (scolaires, sportifs, grand public).

Réduire l’éclairage. Quatre communes ont d’ores et déjà signé cette convention. La commune du Port fut la première d’entre elles, et le bilan qu’elle tire est très positif. Depuis 2008, la charte est annexée à son schéma directeur d’aménagement lumière et les nouveaux équipements ont été réalisés avec des éclairages adaptés. Les monuments de la ville sont uniquement éclairés pour les festivités de fin d’année. De même, pendant la période d’envol des jeunes pétrels, les gros axes routiers et les sites sportifs sont éteints.
Ce bilan encourageant ne doit pas masquer les difficultés. Le plus souvent, hélas, la problématique reste un souci mineur pour les gestionnaires de parcs d’éclairage. C’est d’ailleurs pourquoi des journées de sensibilisation sont organisées en tâchant de rassembler le maximum de personnes et d’organismes.

Éteignons nos lumières. Le parc national, la Seor et le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement organisent l’événement « Deux nuits pour La Réunion, éteignons nos lumières » en avril, afin de coïncider avec le pic d’envol des jeunes pétrels de Barau. C’est l’occasion de réunir de nombreux acteurs publics et privés lors des réunions préparatoires. Plus tard, des échanges de bilan permettent de partager succès, difficultés et solutions techniques mises en œuvre pour réduire l’éclairage.
En 2011, le nombre de partenaires et d’actions était en augmentation, mais surtout, il y a eu moins d’échouages dans les communes participantes, où EDF a enregistré une baisse notable de la consommation électrique.

Leviers d’action. Les économies d’énergie figurent parmi les raisons principales qui poussent les communes à améliorer leurs éclairages. À ce titre, elles figurent parmi les arguments convaincants.
Cependant, concernant les moyens d’action, la sensibilisation reste la priorité.
La concertation, quant à elle, permet à certains acteurs convaincus par le bien-fondé de leur démarche et déjà engagés dans un effort d’amélioration, de transmettre motivation et expérience. C’est ainsi que la manifestation annuelle est l’occasion de réunir tous les acteurs concernés lors des réunions préparatoires. Un travail est effectué autour du calendrier des rencontres sportives avec la ligue de football par exemple.
Par ailleurs, le parc a une carte majeure à jouer dans le sens où il couvre une grande partie du territoire de l’île et que sa charte en construction constitue un projet de société dans lequel le concept de « solidarité écologique » tient une place innovante. La préférence pour des éclairages non-polluants figure dans ce texte fondateur comme mesure de développement harmonieux dans la zone d’adhésion.
De plus, il paraît clairement que certaines communes et entreprises privées participent désormais à la manifestation car elles sont motivées pour rejoindre le parc dans ce projet de développement de l’île respectueux de l’environnement.

Les choses progressent. Jusqu’à présent, la commune de Cilaos, située en première ligne sur l’axe d’envol des pétrels, totalisait près du tiers des échouages de pétrels de Barau de l’île. Cette année, une réunion s’est tenue avec la mairie, la Seor et le parc national, et une convention a été signée entre l’association et la commune. L’extinction des plus forts éclairages, certains pendant un mois complet, a permis de ne récupérer « que » 70 pétrels contre 170 en 2011 et plus de 250 en 2010.
Alors que le bilan de l’édition 2012 de la manifestation est en préparation, la Seor et EDF lancent un label d’éclairage « Pétrel protégé ». Souhaitons que 2013 voie l’augmentation, encore, des chances de survie de nos pétrels endémiques. •

1. La pollution lumineuse représente la troisième cause de menace après les chats et les rats. • 2. La Seor, l’université de La Réunion, l’ONF, le CCEE...